18ème Festival International du Film Oriental de Genève (FIFOG) du 12 au 18 juin 2023
Voilà 18 ans que cette manifestation cinématographique genevoise promeut la diversité et le dialogue par le cinéma et des manifestations annexes culturelles. Chaque année, la question du terme « oriental » dans l’intitulé du festival questionne, tant il est vaste et vague. Le festival présente traditionnellement de nombreuses productions des mondes arabes, mais également des Balkans, de l’Iran, la Turquie, l’Arménie… jusqu’au Bangladesh ! La réponse donnée par le directeur artistique du FIFOG, Tahar Houchi, convoque les cours de sciences naturelles : la terre est ronde – si on se dirige vers le Levant, effectivement, on revient tôt ou tard sur le Couchant, et à Genève…
Une fois ce sujet évacué, le programme, une quarantaine de films et une vingtaine d’invité·es, avec pour thématique centrale « le rêve », est alléchant : une sélection officielle qui comprend 8 longs-métrages et 8 courts-métrages en compétition internationale avec à la clef, un FIFOG d’Or et un FIFOG d’argent. Cette sélection garde un équilibre entre des réalisateur·trice·s émergent·e·s et confirmé·e·s. C’est ainsi que le public pourra voir, juste avant sa sortie romande, le film historique algérien La Dernière reine, d’Adila Bendimerad et Damien Ounouri (présent à Genève), qui avait fait sa Première à la Mostra de Venise 2022 avant de percer le box-office à sa sortie en France en mai dernier.
La critique et l’interview de Damien Ounouri (par Malik Berkati).
Deux sections Panorama longs-métrages et courts-métrages sont dédiées aux films sélectionnés hors compétition. Tout comme les films en compétition, ces films traitent de manière directe ou indirecte du rêve. L’un des films emblématiques de ce rêve qui devient réalité est celui de Marie-Castille Mention-Schaar, Divertimento, sur la cheffe d’orchestre franco-algérienne Zahia Ziouani.
La critique et l’interview de Marie-Castille Mention-Schaar (par Firouz E. Pillet).
Plusieurs focus traversent cette 18ème édition : les cinémas persan, kosovare et albanais, tunisien, algérien, kurde et le cinéma arménien qui fête son 100ème anniversaire cette année.
Fidèle à sa tradition interdisciplinaire, le festival propose un espace d’exposition à trois artistes à l’Espace Hornung de la Maison des arts du Grütli du 12 au 18 juin (vernissage le 13 juin). L’artiste libanaise arménienne Alexandra Bitar qui explore l’effet de l’anxiété sur sa génération; Héla Ammar, tunisienne, dont les photographies et installations traitent de l’enjeu de la mémoire; Ramë Beqiri qui rend, à travers son art, hommage aux disparus de la guerre au Kosovo.
Chaque édition met aussi la littérature à l’honneur, cette année avec Yasmine Char, écrivaine et dramaturge, qui publie son 4ème roman, L’amour comme un empire (Gallimard), et le dédicacera le 18 juin, ainsi que Mélanie Croubalian le 17 juin à l’occasion du 100ème anniversaire du cinéma arménien, pour son premier roman, Azad (Editions Slatkine).
Le FIFOG c’est également un projet pédagogique : un programme de 6 courts-métrages est proposé aux élèves du secondaire I et II des écoles publiques genevoises. Cette section promeut « l’interculturalité, la connaissance mutuelle, la pratique de la citoyenneté et le vivre-ensemble », explique le festival. Les élèves participant aux projections deviennent par ailleurs membre du jury scolaire qui remet un prix à cette sélection.
La soirée d’ouverture, le lundi 12 juin 2023, aura lieu au Crowned Eagle (Le Chic) – 3 rue de Fribourg, à 21h, avec la projection de trois (longs) courts-métrages provenant du Maghreb : Charte d’El Houssine Hnine (Maroc, fiction, 19 minutes), La fille de mon quartier d’Amar Sifodil (Algérie, fiction 29 minutes) ainsi que du documentaire tunisien de Wejdane Ben Chaabane et Zohra Mania, Les femmes sub-sahariennes en Tunisie, à l’intersection des discriminations (21 minutes).
Ce dernier film fait malheureusement écho à l’actualité récente en Tunisie avec les propos stupéfiants du président Kaïs Saïed, publiés en février sur la page Facebook de la présidence, qui ont exacerbé les tensions existantes entre Tunisien·nes et migrant·s subsaharien·nes, validant une théorie de « grand remplacement », avec des migrant·es qui changeraient la nature de la société tunisienne. Ces propos racistes ont provoqué de violentes agressions et des expulsions de Subsaharien·nes, pendant de nombreuses semaines d’autres sont resté·es cloîtré·es par peur des arrestations et des agressions, et certains pays comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal ont affrété des avions pour rapatrier leurs ressortissant·es.
Wejdane Ben Chaabane et Zohra Mania ont tourné leur film bien avant ces événements, elles n’en capturent pas moins l’essence des événements qui se sont déroulés depuis, avec cette mise en évidence des difficultés supplémentaires que rencontres les femmes dans ces situations de tensions et de vulnérabilité – aux discriminations d’origines ethniques et sociales s’ajoutent celles de genre, avec à la clef l’exploitation et le harcèlement sexuel. Les deux réalisatrices, dans un documentaire à la croisée du journaliste et de l’académie plutôt que du cinéma, nous font rencontrer quatre jeunes femmes : Rosalia, une étudiante gabonaise en droit, Elsie une étudiante congolaise en génie industriel, Yakouta Perle Aurore, ingénieure en informatique originaire de la République centrafricaine, et Leila, gabonaise, artisane et fondatrice de NDAWU (entreprise spécialisée dans la fabrication et la vente de produits artisanaux). Hamza Bouarrouj, membre fondateur de l’association By l’hwem – « Ensemble » qui a pour but de promouvoir et de renforcer le lien social entre migrant·es subsaharien·es et Tunisien·nes, et Yasmine Akrimi, chercheuse en science politique, corroborent les témoignages et les contextualisent à plus large échelle, évoquant également les discriminations envers les Tunisien·nes à la peau noire.
Ces quatre jeunes femmes ne sont pas représentatives de l’ensemble des migrantes, souvent peu qualifiées, ne possédant pas les leviers de défense face au racisme ordinaire comme institutionnel. Et pourtant, ce qu’elles racontent est glaçant. On n’ose imaginer ce qu’endurent les femmes migrantes aux profils sociaux précaires. Édifiant !
Malik Berkati
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