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Anna Mulyaert, réalisatrice-exploratrice du champ familial

Après Une Seconde Mère (Que Horas Ela Volta?) – qui avait littéralement enchanté le public de la Berlinale 2015 et reçu le Prix du public de la section Panorama -, la réalisatrice brésilienne Anna Muylaert continue de questionner la complexité des relations filiales et des rapports de classes au Brésil avec D’une Famille à l’autre (Mãe só há uma).

Extraits de l’article paru dans Le Courrier pour la sortie du film en Suisse romande le 4 août 2016.

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Felipe, 17 ans, vit dans une famille modeste et profite de sa liberté d’adolescent pour multiplier les expériences. Jusqu’au jour où la police vient arrêter sa mère qui avait kidnappé ses enfants, le séparer de sa sœur et le rendre à ses parents biologiques qui n’ont eu de cesse de le chercher. Le jeune homme change dès lors de milieu social en même temps que de famille. Il doit répondre à un nouveau prénom et à une demande d’amour parental qu’il met à l’épreuve, notamment en s’habillant parfois en femme. Dans ses films, Anna Muylaert a le talent d’évoquer plusieurs thèmes sociétaux sans perdre de vue l’histoire principale: celle d’un être humain cherchant à mener au mieux sa propre vie. Rencontre avec une cinéaste qui se revendique rebelle.

Mãe só há uma (D'une famille à l'autre) - Naomi Nero & Daniela Nefussi
Mãe só há uma (D’une famille à l’autre) – Naomi Nero & Daniela Nefussi

Qu’est-ce qui vous intéresse dans les relations familiales?

Anna Muylaert: Je tire un parallèle entre l’État et la famille. Je suis fondamentalement contre l’autoritarisme, qui commence à mon avis dans la famille. Si vous n’étiez pas éduqué à faire ce que l’on vous dit de faire, peut-être réagiriez-vous différemment envers ceux qui gouvernent. En grandissant dans un environnement autoritaire, vous vous habituez à cet ordre social. Dans mes films, je montre une autre possibilité: les jeunes gens ont une chance de devenir eux-mêmes. En définitive, on peut se passer de parents, avoir plutôt des amis, des frères, des relations interpersonnelles horizontales.

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Dans les deux films, vous ­évoquez aussi les rapports de classes.

Quand on aime, on est plus riche que si on se trouve dans une situation financière avantageuse en souffrant d’un manque d’affection – je crois vraiment en ce mot. Cela semble évident, mais dans nos sociétés, le discours dominant véhicule l’idée que l’ar­gent a clairement plus de valeur que les sentiments.

Que pensez-vous de la situation politique au Brésil?

Il y a un énorme problème social dans ce pays, où 90 % des gens n’ont pas accès à une éducation correcte et sont ainsi exclus de la citoyenneté. Cet état de fait dure depuis si longtemps que les riches ne le voient pas du tout. Pendant 500 ans, le Brésil a toujours eu des dirigeants de la classe supérieure. Et durant les quinze dernières années, il a été gouverné par le Parti des travailleurs. Je ne dis pas qu’ils sont excellents, ils ont fait de nombreuses erreurs, mais ils ont ouvert l’accès à l’université aux classes défavorisées. Après une décennie, on commence à en voir les fruits. À présent, comme dans Une Seconde Mère, où la fille de la bonne fait des études, les élites réalisent que quelque chose est en train de changer. Et cela les contrarie. Il y en a qui protestent et certains en appellent même au retour à la dictature – c’est de la folie! Nous vivons une période transitoire. Dans Une Seconde Mère, je ne jugeais pas les personnages ni leurs actions. Du coup, le film a touché une partie de l’élite brésilienne, qui a pris conscience que les choses n’allaient pas aussi bien qu’elle le croyait.

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De Anna Muylaert; avec Naomi Nero, Daniel Botelho, Daniela Nefussi, Matheus Nachtergaele; Brésil; 2016; 82 min.

Malik Berkati

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