Avec La Fiancée du poète, Yolande Moreau met de joyeuses couleurs et de la poésie à la vie pour l’embellir
Amoureuse de peinture et de poésie, Mireille (Yolande Moreau) s’accommode de son travail de serveuse à la cafétéria des Beaux-Arts de Charleville, sa ville d’origine, où elle est revenue vivre après de nombreuses années d’errance. Tout en vivant de petits larcins, se servant dans les réserves de la cantine de l’école, et de trafic de cartouches de cigarettes auprès des étudiants, Mireille a peu de contacts sociaux, si ce n’est avec sa soeur, Annie (Anne Benoît), qui la houspille et la critique, mais dont les piques incessantes sont canalisées par son beau-frère, Pierre (François Morel). Elle peut compter sur l’excentrique curé du village, le Père Benoît (William Sheller), qui joue un rock endiablé sur l’orgue de l’église quand ses paroissiens vaquent à leurs occupations… N’ayant pas les moyens d’entretenir la grande maison familiale sur les bords de Meuse dont elle a héritée, et sur le conseil éclairé du curé bienveillant, Mireille décide de prendre trois locataires. Trois hommes qui vont bouleverser sa routine : Bernard (Grégory Gadebois), horticulteur qui clame fièrement s’occuper de tous les espaces verts de Charleville; Elvis (Estéban), un troubadour des temps moderne et surtout sans papier; enfin, le jeune Cyril (Thomas Guy, la révélation du film !), étudiant à l’École des Beaux-Arts, en rupture avec ses parents, mais surtout brillant faussaire. Sans que Mireille ne s’en doute, ces trois hommes et colocataires improvisés vont la préparer, au retour du quatrième : Fernando (Sergi López), son grand amour de jeunesse, un poète.
Pour son troisième long métrage derrière la caméra, Yolande Moreau se retrouve aussi devant l’objectif, incarnant Mireille, une femme fantasque, fantaisiste, éprise de poésie et de belles lettres, et surtout vieille amoureuse dans l’âme, tant de la vie comme des gens. Distillant un esprit juvénile rafraîchissant, Mireille demeure optimiste et confiante en l‘avenir malgré les obstacles à surmonter – ses difficultés pécuniaires, les assauts de sa sœur, l’état délabré de sa maison – et savoure les menus plaisirs de la vie, à commencer par quelques vers de poésie qui comblent ses journées. D’ailleurs, son amoureux de l’époque s’est fait passer pour un poète pour la séduire.
À travers un film délicat et poétique, la réalisatrice-actrice avait envie de mettre en valeur le besoin de rêver et de sublimer une réalité peu excitante. Dans La fiancée du poète, la peinture, la sculpture, mais aussi la poésie, mettent de la couleur au quotidien de ces êtres cassés par la vie. Quant aux petits mensonges de ces personnages, en sont-ils réellement ? Ne sont-ils pas juste des moyens d’échapper au marasme d’une routine quotidienne et de rendre les affres de la vie, voire les échecs affrontés, plus supportables. À ce propos, Yolande Moreau souligne :
« Nous faisons tous des mensonges… Et si nos mensonges étaient de petits arrangements avec la réalité pour la sublimer ? J’ai toujours été fascinée par les gens qui endossent la personnalité d’un autre… Comme si leur propre vie n’était pas à la hauteur et qu’ils la rêvaient en usurpant l’identité d’un autre. Je me suis interrogée sur le faux, le vrai. Sans les faussaires, la vie serait vraiment triste. »
Certes, il est ici question de faussaires de tableaux, de faux mariage, de fausses identités, de travestissements, mais ces échappatoires servent surtout de planches de salut. Avec cette galerie de personnages meurtris (servis par une excellente distribution de haut vol), quelque peu oubliés par la société, Yolande Moreau fait la part belle à ces êtres esseulés, stigmatisés, qui trouvent une parade aux difficultés de leur existence par le truchement de petits arrangements, de menus mensonges. Par touches progressives subtiles, Yolande Moreau crée un tableau de l’humanité, croquant des personnalités diverses à la Daumier mis en valeur par une photographie picturale signée Irina Lubtchansky.
Il émane de ce joli film à la délicatesse réconfortante un message qui est d’autant plus crucial alors que le monde s’embrase : l’urgence de (re)mettre la culture au cœur des rapports humains et l’existence, comme l’explique Yolande Moreau :
« J’ai voulu faire un conte poétique et politique… Même dans les ruines, l’idée de résistance. J’ai repensé à ce pianiste, Aeham Ahmad, qui jouait dans les ruines en Syrie, à l’image que ça véhiculait… Cette phrase prend une résonance particulière dans le contexte actuel de la crise que nous traversons. »
Si La fiancée du poète commence très lentement, il faut savoir se laisse porter, au fil de l’eau, sur la péniche de Yolande Moreau et par la poésie comme la truculence de ses personnages décalés et attendrissants dont les savoureuses répliques offrent de délicieux moments jubilatoires.
Firouz E. Pillet
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