Avec Les Indomptés (On Swift Horses), Daniel Minahan signe un grand drame romantique sur les amours impossibles, contrariées par les carcans de la société
Adapté par Bryce Kass d’après le roman éponyme de Shannon Pufahl paru en 2019, Les Indomptés a été présenté en première mondiale au Festival international du film de Toronto en septembre 2024.
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Au début des années cinquante, Muriel (Daisy Edgar-Jones) et son mari Lee (Will Poulter) démarrent une nouvelle vie en Californie lorsque qu’il revient de la guerre de Corée. Rapidement, l’équilibre de leur couple va être bouleversé par l’arrivée du charismatique Julius (Jacob Elordi), le frère de Lee, un flambeur au passé secret. Muriel se lance dans une vie secrète, pariant sur des chevaux de course et découvrant auprès de sa voisine Sandra (Sasha Calle) un amour qu’elle n’aurait jamais osé imaginer…
Rapidement, un triangle amoureux bancal se forme. Mais Julius décide de suivre Henry (Diego Calva), un jeune joueur de cartes dont il est tombé amoureux. Ébranlée par ce départ et plus éprise d’indépendance que jamais, Muriel trouve un exutoire de plus en plus enivrant dans les courses de chevaux et l’exploration de cet amour inavouable pour l’époque.
Dans une fresque subtile élaborée par touches successives délicates. Les Indomptés dépeint l’histoire de ce couple de jeunes mariés dans une relation débutante a priori sans ombre. Cette apparente stabilité nouvellement trouvée vacille rapidement à cause des coups d’éclats du trublion de beau-frère. Alors que les trois se sont juré de commencer une nouvelle vie ensemble en Californie, région réputée être la terre de tous les possibles, leur tentative de réaliser le rêve américain est réduite à néant lorsque Julius disparaît sans crier gare et part à Las Vegas.
Avec finesse et délicatesse, Daniel Minahan immerge le public dans une époque où la bienséance prédomine et où la réputation prime sur le bonheur, condamnant au secret et aux lieux dits de perdition les amours considérées alors comme non conventionnelles. La manière dont le cinéaste expose ce contexte historico-social n’est pas sans rappeler Carol (2015) de Todd Haynes. Ce qui commence comme une simple histoire d’amour est tout sauf un long fleuve tranquille et le dénouement magnifique, parfois douloureux, est merveilleusement accrocheur et émouvant.
Les indomptés est une histoire de rêves et de réalité, qui offre tout au long du récit une version convaincante des deux versants grâce à sa photographie impressionniste et à sa distribution talentueuse. Même en deux heures, le drame noir, évocateur et lent semble bien trop court lorsque le générique de fin se met à défiler. On souhaiterait passer plus de temps avec ces personnages fascinants et attachants afin de pouvoir s’investir davantage dans leurs parcours respectifs.
Daisy Edgar-Jones réussit à capturer magistralement la lutte de Muriel qui consiste à essayer de trouver le bonheur dans un monde traditionnel et conformiste où le déroulé de la vie semble décidé à l’avance et conforté par les convenances. Mais, dans ce monde diamétralement opposé à son être profond, Muriel dépérit avant de découvrir un univers queer insoupçonné qui la révèle à elle-même. Si tous les acteur·trices sont parfait·es, Jacob Elordi et Daisy Edgar-Jones donnent au film un noyau solide et l’intrigue, délicatement amenée, développe leurs personnages en des personnes qui méritent qu’on s’en soucie et pour lesquelles on éprouve de l’empathie.
Grâce à un scénario d’une nuance inhabituelle et très appréciable pour son genre, l’atmosphère délicieusement surannée du film fait aussi songer au dernier film de Luca Guadagnino, Queer (2024) où évoluent, dans une torpeur sentimentale hypnotique, des relations complexes dans un décor d’époque savamment reconstitué (y compris un voyage au Mexique). Les scènes d’amours impossibles et leurs échecs inéluctables laissent place à la solitude des personnes dans une société qui les stigmatise et les rejette. Les Indomptés livre une histoire de subterfuges, de secrets et de reconnaissances rarement dites à voix haute. Si le film présente une image puissante des failles qui couvent sous la surface rutilante de la société américaine et laisse entendre que la vie est un pari, on décèle une poésie délicate et élégante à regarder Julius parier sur son avenir sur son cheval fougueux et exalté qui symbolise la destinée de son cavalier.
Malgré toutes les qualités de son long-métrage, Daniel Minahan peine à fournir une exploration substantielle de ses thèmes et ne parvient finalement pas à offrir quelque chose de particulièrement significatif, laissant une impression d’inabouti. Un autre petit bémol vient s’ajouter à ce sentiment de nébulosité finale qui laisse quelque peu le public sur sa faim : le film manque de passion, n’explorant pas la physicalité ni la sexualité de ses personnages, contrairement au film de Guadagnino.
Firouz E. Pillet
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