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Avec Shambhala, le Royaume des cieux, Min Bahadur Bham signe un drame évocateur, contemplatif à l’esthétisme pictural puissant

Shambhala, une œuvre envoûtante qui se déroule au cœur de l’Himalaya, dans un village de l’Himalaya tibétain où la polyandrie séculaire est une tradition. Pema se marie avec une fratrie dont Tashi est l’aîné. Alors qu’il part à Lhassa pour ravitailler la communauté, Pema, se découvrant enceinte, est soupçonnée d’avoir une relation extraconjugale et quitte alors son village pour retrouver son mari Tashi, déterminée à prouver sa fidélité. Son voyage se mue en découverte de soi.

— Thinley Lhamo – Shambhala, le Royaume des cieux
© Shooney Films

Le Shambhala du titre fait allusion au mot sanskrit qui signifie « lieu du bonheur paisible ». Le vocable, qui peut aussi être orthographié Shambhalla, Shambala ou Shamballa, est un mythe hindi-bouddhiste qui a été intégré, à l’époque moderne, dans divers récits syncrétiques, voire initiatiques dans lesquels d’autres croyances de l’humanité, et en particulier la théosophie, se sont exprimées.

À tout juste quarante ans, Min Bahadur Bham est devenu une figure importante du paysage cinématographique de son pays. En effet, sorti en 2015, son long métrage Kalo Pothi, un village au Népal, présélectionné pour la 89ème cérémonie des Oscars, devenait le premier film népalais à être présenté à la Mostra de Venise.

Neuf ans plus tard, il continue dans sa lancée et présente son œuvre Shambhala en première mondiale à la Berlinale de février dernier. Aucun autre film de sa patrie n’avait alors été présenté dans la compétition berlinoise avant le sien. S’il n’avait pas gagné le tant convoité Ours d’or, il avait réussi à fasciner le public.

Pour son nouveau long métrage, le réalisateur népalais a pu compter sur une coproduction entre la France, Hong-Kong, le Népal, la Norvège, le Qatar, Taïwan, la Turquie et les États-Unis. Min Bahadur Bham, qui a écrit le scénario à quatre mains avec Abinash Bikram Shah, invite le public à une expérience méditative et contemplative, perchée sur les hauts plateaux des montagnes de l’Himalaya et nichée dans un récit féministe qui explore l’interaction entre l’action individuelle, les atavismes ancestraux, les pratiques magiques et les préjugés sociétaux dans une communauté liée par des traditions rigoureuses.

Ouvrant son film par des vues de stupas de pierres sur lesquels flottent des drapeaux de prières bigarrées, le cinéaste donne le ton de son film. Avant même que le public ne soit immergé dans ce récit au rythme lent, l’intention du cinéaste s’affiche avec clarté : Shambhala s’affirme d’emblée comme un film qui se démarque du reste des productions, une invitation au voyage tant des yeux que de l’âme, une escapade des sens exquise et émouvante où la transcendance se fera progressivement au fil du récit et grâce à une nature à la végétation clairsemée compensée par une hospitalité spontanée.

La photographie signée Aziz Zhambakiyev met en lumière les paysages envoûtants qui accompagnent un récit posé, au rythme lancinant où les gestes du quotidien s’enchaînent avec quiétude même quand il s’agit de remédier à une situation critique, sans qu’il n’y ait jamais ni coups de sang ni coups d’éclat, mais où tout acte s’exécute avec détermination, animé par une volonté de justice. Tout au long du récit, le décor devient un protagoniste à part entière et contribue à ce sentiment de sérénité et de paix intérieure. Il faut souligner qu’à la base de ce récit, qui mêle picturalité, poésie et représentation d’une culture polyandre réside la performance captivante de Thinley Lhamo, qui imprègne Pema de pugnacité, d’affirmation de son identité, de résilience et de tendresse.

Une petite mise en garde s’impose au public occidental, plus coutumier des films à dialogues ou des comédies de l’Hexagone ou peut-être plus friand des films d’actions des studios hollywoodiens : laissez l’impatience au vestiaire et savourez ce temps suspendu ! Avec Min Bahadur Bham, il faut prendre le temps de se poser et de se laisser porter par ses personnages, par son histoire, par ses paysages hors du temps. D’une durée de deux heures et demie, le déroulement méticuleux du film tend à s’étaler sur une alternance de pics et de vallées à l’attrait pictural tangible.

L’histoire se dévoile lentement et avec retenue. Également scénariste et récipiendaire, entre autres, d’un master en philosophie bouddhiste, Min Bahadur Bham nous invite à prendre notre temps. Doucement, il captive les regards et apaise les âmes. Et devant les impressionnants paysages himalayens, spectatrices et spectateurs pourront alors se surprendre à réfléchir à leur existence peut-être un peu trop frénétique…

Shambhala, le Royaume des cieux de Min Bahadur Bham
© Shooney Films

Tourné dans la région du Haut Dolpo, entre 4 000 et 6 000 mètres d’altitude, le film présente certains des villages les plus hauts au monde. Le public en prend plein les yeux, ébahi par l’immensité de la nature et intrigué par les traditions tibétaines qui prédominent la région, des traditions intimement liées à l’histoire de Pema.

Dans le rôle principal, Thinley Lhamo est solaire et son charisme illumine la totalité de l’œuvre. À ses côtés, Tenzing Dalha, Sonam Topden et Karma Wangyal Gurung se dévoilent chacun devant la caméra. Leurs excellentes prestations illustrent parfaitement les différentes personnalités de ses trois frères mariés à Pema.

Le cinéaste a réussi la gageure de signer à la fois une odyssée spirituelle et un voyage très concret vers l’autodétermination féminine, dans un récit visuellement magnifique filmé dans les hauteurs de l’Himalaya, avec une performance centrale intrinsèquement magnétique de Thinley Lhamo.

Du grand art venu du Toit du Monde !

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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