Berlinale 2015 – Compétition jour #3: Le volcan d’Ixcanul et Victoria jaunissent Le Journal d’une femme de chambre
Les jours se suivent et se ressemblent pendant cette Berlinale: le 1er et 3e film de la journée sur la liste des possibles récompensés, le film de midi – par tradition soit plus grand public soit au casting prestigieux- décevant. Demain risque toutefois d’être un autre jour : le film de midi sera le très attendu Knight of Cups de Terrence Malick.
Mais revenons à aujourd’hui et ce très beau film guatémaltèque avec lequel a débuté la journée : Ixcanul.
Maria (María Mercedes Coroy), une jeune Maya de 17 ans, habite et travaille avec ses parents dans une plantation de café au pied d’un volcan en activité dans une région reculée du Guatemala. Son avenir : un mariage arrangé avec un contremaître de la plantation. Mais Maria n’accepte pas sa destinée et cherche à y échapper.
Ce film typique de la sélection du festival de Berlin est un vrai bijou à plusieurs titres. Bien sûr, les paysages extraordinaires qui reflètent à la fois la dureté de la vie des Mayas dans les villages les plus reculés du pays, mais aussi les forces et influences chamaniques qui dominent leur quotidien. Le jeu extraordinaire de ces actrices et acteurs mayas dont c’est pour la plupart d’entre eux le premier film. L’histoire très bien écrite qui révèle les particularismes d’un peuple et d’un pays multiculturel mais ne s’y enferme pas, abordant au contraire l’universalité de certains problèmes de société, tels que l’immigration, la pauvreté ou le rapport de force individu/collectivité. La réalisation est également très intelligente, Jayro Bustamante, malgré le petit budget, parvient à produire des effets narratifs (dont seraient bien inspirés quelques auteurs bien établis dans le champ cinématographique), avec un parti pris de lente progression : « Je voulais construire l’histoire doucement, démarrer sur le monde naturaliste à partir d’une cellule familiale maya, découvrir leurs gestes quotidiens, leurs langages, leurs rites et traditions, montrer la communion qu’ils vivent avec leur volcan, Ixcanul, qui est un personnage à part entière. » explique-t-il. À partir de là, l’histoire se développe et sort de ce cadre spécifique. « Je ne voulais pas que les populations indigènes deviennent dans mon film une caricature » poursuit le réalisateur.
Et ici encore, des rôles de femmes fortes – bon courage au jury pour l’attribution cette année de l’Ours de la meilleure actrice ! -, ici la mère et la fille. « Je suis allé dans les lieux où les Mayas sont installés pour voir comment ils vivent et travaillent. J’ai rencontré beaucoup de femmes qui m’ont raconté leurs histoires. J’ai travaillé avec elles dans des ateliers sur l’histoire et après avoir écrit le scénario en espagnol, elles ont participé à sa traduction en Kaqchikel, particulièrement sur les dialogues pour qu’ils sonnent justes. C’est lors de ces ateliers que j’ai trouvé ces deux merveilleuses actrices. »
De Jayro Bustamante ; avec María Mercedes Coroy, María Telón, Manuel Antún, Justo Lorenzo, Marvin Coroy, Leo Antún ; Guatemala / France ; 2015, 90 min.
Journal d’une femme de chambre
Faisons court et concis : Benoît Jacquot aime filmer les femmes, il sait parfaitement les habiller de lumière – toujours parfaite dans ses films – … et voilà.
Les deux versions précédentes du livre d’Octave Mirbeau, celles de Renoir et de Buñuel, s’éloignaient beaucoup du livre. Benoît Jacquot, lui, le colle beaucoup. Tout est parfait, mais il manque une âme à cette histoire. Évidemment, chercher une incarnation dans le jeu de Léa Seydoux est un peu une gageure, mais on aurait espéré que Vincent Lindon intensifie le personnage de Joseph. Hélas, engoncé dans cette précellence cinématographique, il n’est plus qu’une figure pesante mais sans relief qui traverse certes de manière menaçante le film mais se dissipe dans l’une des rares choses saisissantes de cette version : son discours antisémite qui fait parfaitement écho à celui qui a eu cours tout au long du XXe siècle, jusqu’en ce début de XXIe.
Vous pouvez donc choisir de lire le livre ou regarder le film… l’avantage du livre étant que vous pouvez vous imaginer une autre figure que celle omniprésente du cinéma franco-français et français à l’international (on se réjouit, Léa Seydoux est du casting du prochain James Bond) ; l’avantage du film : on a l’essentiel de l’histoire en 95 minutes.
De Benoît Jacquot ; avec Léa Seydoux, Vincent Lindon, Hervé Pierre, Clotilde Mollet, Vincent Lacoste ; France/Belgique ; 2015 ; 96 minutes.
Victoria
Un ovni ! Cela faisait longtemps que le cinéma allemand n’avait pas produit un long-métrage aussi original, tant sur la technique que sur l’idée qui sous-tend l’histoire. Ce film fait partie de ceux qui laissent au départ perplexe puis en se développant hypnotise le spectateur. Il n’est pas impossible que certains se surprennent lors de la 1re demi-heure à chercher la sortie de secours, mais une fois entrés dans le film, ils n’en sortent plus. Bien entendu, certains n’y entrent jamais, et là les 140 minutes deviennent un supplice, surtout si on n’aime pas les images en port de caméra tempétueux ou les mises au point et les flous savamment orchestrés.
Victoria (Laia Costa) est une jeune espagnole qui rencontre quatre jeunes hommes à la sortie d’un club branché berlinois. Sonne et ses copains se disent « vrais Berlinois » et promettent à la jeune femme de lui montrer le vrai Berlin, pas celui des touristes. Mais les quatre gars sont de vrais Pieds nickelés. Entre flirt et amusement, un engrenage plus sombre s’amorce lorsqu’un des quatre amis entraîne les autres dans une mission qu’il doit effectuer pour rembourser une dette. Victoria va les suivre et entrer dans les profondeurs de la nuit aux petits matins blafards.
Jusque là, rien de bien original dans ce film de genre… si ce n’est qu’il est réalisé en « one single take », autrement dit un seul et unique plan, sans montage, sans effet autre que celui de la virtuosité du directeur de la photographie danois Sturla Brandth Grøvlen, du brio des acteurs et de l’actrice qui ont, à partir du synopsis de 12 pages, créé et développé leurs personnages, improvisé leurs dialogues, et de la foi infaillible du réalisateur en son idée, son équipe et la force de cette symbiose qu’il a su instaurer et – le plus difficile – à maintenir entre les membres de l’équipe tout au long du projet. Mais Sebastian Schipper précise : « Le plan-séquence a pris le pouvoir sur le film mais ce n’est pas lui le plus important. Mon propos n’est pas de montrer une prouesse technique et sportive. Le plus important, ce sont les nuances, le dévouement entre les acteurs et leurs personnages. Nous avons fait ensemble ce film. Peu importe que cela ne soit pas parfait, au contraire même, cette recherche quasi pathologique de la perfection, cette pression dans le cinéma d’aujourd’hui est trop prégnante. Nous ne voulions pas cela, nous voulions donner une expérience de dangerosité au spectateur, au plus près d’une réalité que pour la plupart ne vivrait pas même s’ils avaient l’occasion de faire ce que Victoria et les quatre amis font pendant ces 2 heures et 14 minutes. »
De Sebastian Schipper ; avec Laia Costa, Frederick Lau, Franz Rogowski, Burak Yigit, Max Mauff, André M. Hennicke, Anna Lena Klenke, Eike Schulz ; Allemagne, 2015 ; 140 minutes.
Malik Berkati, Berlin
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