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Berlinale 2015 – Compétition jour #7: Peter Greenaway et Jiang Wen célèbrent le cinéma, Radu Jude explore l’histoire de la Roumanie

Après une semaine d’un festival ayant fait la part belle aux personnages féminins forts, les hommes crèvent enfin l’écran lors du 7e jour de compétition qui voit aussi le 1er film asiatique présenté !

Aferim !

Le titre est une interjection en langue turc voulant dire : bien joué !
Et effectivement, ce titre va à ce long-métrage lui aussi oursisable (encore un ! cette édition semble être un bon cru) comme un gant : les acteurs jouent parfaitement, la réalisation est très bien conduite, le scénario d’une très grande richesse.

Teodor Corban, Mihai Comanoiu, Alberto Dinache  - Aferim! © Silviu Ghetie
Teodor Corban, Mihai Comanoiu, Alberto Dinache – Aferim!
© Silviu Ghetie

Ce western balkanique se déroule dans la Roumanie du 19e siècle, dans une société encore féodale qui pratique l’esclavage, principalement celui des Roms. À travers la chasse à l’homme qu’effectuent le gendarme Costandin (Teodor Corban) et son fils Ioniță (Mihai Comanoiu) à travers la Valachie pour retrouver Carfin (Cuzin Toma), un esclave en fuite, le réalisateur roumain Radu Jude nous entraîne dans l’histoire de son pays qui résonne de manière étrangement contemporaine.
La construction du scénario est décisive dans ce film, de manière fluide chaque étape des protagonistes permet d’aborder un sujet sociétal : la condition des Roms, l’antisémistime, la condition des femmes, le racisme et les préjugés (une superbe et hilarante tirade d’un prêtre orthodoxe égrenant les poncifs sur chaque nationalité reste tout à fait d’actualité), la pauvreté, l’esclavagisme, la religion, etc. Une belle parabole qui nous rappelle que le présent n’est appréhendable qu’en faisant face au passé. Le cinéaste et son coscénariste, Florin Lăzărescu, ont travaillé à partir de documents historiques et archives, de livres et chansons de l’époque, et de nombreux éléments se sont réellement passés. Radu Jude voulait ainsi montrer que « les choses passent d’une personne à l’autre et ceci pendant des générations, pour finir par créer une mentalité. »
Ce film n’a pas de frontière culturelle de compréhension, cependant, ceux qui ne parlent pas le roumain perde un élément que la traduction ne peut pas rendre : « J’ai gardé la magnifique langue de l’époque, une langue archaïque telle que je l’ai trouvée dans les documents d’époques et les chansons/récits. » Aucune idée de quelle est la forme d’ « une langue archaïque roumaine », mais les sous-titres rendent un langage très cru.
Même si ce n’est pas l’unique sujet du film, la condition des Roms est tout de même au centre de cette histoire. Pour Radu Jude, « les crimes contre les Roms ne sont pas encore résolus, même au 21e siècle, de longues années après l’épisode auquel se réfère le film ». L’acteur Teodor Corban ajoute que « l’attitude que l’on avait envers les Roms à l’époque était tout à fait normale et cela continue jusqu’à nos jours. Ils étaient les bas-fonds de la société et tout le monde pensait avoir tous les droits sur eux. Il n’a pas été facile pour moi de jouer ce rôle de chasseur d’esclave en fuite. »
Au crédit du réalisateur et de Florin Lăzărescu, le fait que Costandin et son fils ne soient pas des figures manichéennes. Ils vivent dans un certain environnement, ils ont une fonction dans cette société et la remplissent, ils jouent très bien le jeu – aferim ! – mais ils n’en restent pas moins humains.

Alexandru Dabija - Aferim! © Silviu Ghetie
Alexandru Dabija – Aferim!
© Silviu Ghetie

Cuzin Toma n’est pas Rom, il s’est approprié le personnage « également grâce à la documentation réunie par Radu et Florin. À l’époque, le châtiment corporel n’était pas considéré comme un crime. Cela faisait partie des règles de la société. Personne ne prenait la défense des Roms, quoi qu’ils faisaient, ils étaient considérés comme coupable .»
Mais les acteurs comme le réalisateur, Florin Lăzărescu insiste sur un point : « cette histoire n’est pas une histoire sur les Roms, c’est l’histoire de la Roumanie. Je crois que l’on comprend mieux la Roumanie d’aujourd’hui si on regarde comment était la Roumanie des origines. » Radu Jude insiste, « une partie des problèmes de la société roumaine vient du passé. On a tendance à tout mettre sur le dos du passé communiste, même si cela est aussi vrai, je pense qu’il y a des origines beaucoup plus lointaines. D’ailleurs récemment j’ai donné une interview à un magazine en ligne à propos du film. Parmi les commentaires, beaucoup de personnes croyant d’après mon nom que je suis juif, ont anonymement bien sûr écrit des paroles racistes qui selon eux expliqueraient pourquoi j’ai fait ce film. Vous voyez… »

Une chose que l’on pourrait regretter dans la réalisation est le choix d’un noir et blanc « sale », granuleux qui rappelle les films russes dans années 20… sinon, vraiment M. Jude, Bien joué !

De Radu Jude ; avec Teodor Corban, Mihai Comanoiu, Cuzin Toma, Alexandru Dabija, Luminita Gheorghiu, Victor Rebengiuc ; Roumanie/Bulgarie/République tchèque ; 2015 ; 108 min.

Eisenstein in Guanajuato

Grand est le soulagement ! Après les naufrages des grands cinéastes contemporains dans cette Berlinale – Werner Herzog, Terrence Malick et Wim Wenders – on retenait son souffle sur ce nouveau long-métrage de Peter Greenaway.
Il a passé l’épreuve !
Le réalisateur britannique fait dans ce film non seulement du cinéma, mais également une ode à cet art. Evidemment, dans son style, qui ne plaira pas à tout le monde. Mais peu importe. Il a fait une proposition, à laquelle on adhère ou pas, mais qui existe. Pas de soupe hollywoodienne mais des sentiments exaltés, montrés en force, démontrés. Pas d’égo-trip mais l’art cinématographique entièrement dédié au cinéma lui-même, à son histoire, à la célébration de celui que Greenaway considère comme « le premier réalisateur a avoir fait un chef-d’œuvre en 1925 (Le Cuirassé Potemkine, N.D.A.) a seulement 27 ans ». Pas de 3D, mais un jeu de caméra époustouflant, circulaire, plongeant qui donne plus sûrement le tournis que quelques éléments d’images faisant semblant de nous arriver dessus.

Elmer Bäck - Eisenstein in Guanajuato
Elmer Bäck – Eisenstein in Guanajuato

L’histoire par laquelle Greenaway veut nous présenter celui qu’il nomme « l’ultime figure paternelle de notre art » reprend le fameux épisode de la vie d’Eisenstein (joué de manière magistrale par l’acteur finlandais Elmer Bäck) qui le mène au Mexique après son séjour catastrophique aux États-Unis. En 1931, avant de rentrer en URSS, il décide de faire un film qu’il veut nommer Que Viva Mexico. A son arrivée dans la ville de Guanajuato, il est chaperonné par Palomino Cañedo qui va l’initier à de nouvelles expériences et lui faire découvrir les liens étroits entre Éros et Thanatos – sexe et mort. De nouvelles émotions se révèlent à lui, il se découvre et pour la première fois baisse le masque de clown triste et se libère de quelques-unes de ses inhibitions.

On n’est pas obligé d’aimer ce film, mais on est obligé de confirmer ce que Peter Greenaway assène avec force et un esprit combattant : « Non, le cinéma n’est pas en train de mourir ! ».

De Peter Greenaway ; avec Elmer Bäck, Luis Alberti, Rasmus Slatis, Jakob Öhrman, Maya Zapata ; Pays-Bas/Mexique/Finlande/Belgique ; 2014 ; 105 min.

Yi Bu Zhi Yao (Gone with The Bullets)

Dans cette Berlinale aux sujets assez sombres, voilà un film qui envisage les choses avec un peu plus de légèreté… et cela fait du bien!
Le cinéaste chinois Jiang Wen, un temps censuré dans son pays, revient avec un méga-budget et un long-métrage produit pour plaire autant en Chine que dans le reste du monde, des images flamboyantes, un rythme échevelé et beaucoup d’humour.
L’histoire racontée est basée sur un fait réel, un meurtre qui a eu lieu et qui a été le sujet du premier film chinois tourné en 1921. A partir de là, Jiang Wen fait un film dans le film et sur l’histoire du cinéma. Comme Greenaway, il utilise et intercale plusieurs supports, du 16 mm, des archives, etc. « Ce qui m’a intéressé c’est d’aborder ce sujet à partir de différentes perspectives. » Le film est émaillé de référence aux grands classiques du cinéma international et chinois – pour ne pas gâcher le jeu, on ne dira pas lesquelles, mais la première et la dernière scène sont faciles à trouver et font sourire encore plusieurs heures après la projection – mais aussi de musiques, chansons, opéras qui donnent cet aspect burlesque, artificiel et donc plus léger à une histoire qui au fond ne l’est pas tant que cela.

Jiang Wen, Ge You - Yi bu zhi yao | Gone With The Bullets © Beijing Buyilehu Film & Culture Co., Limited
Jiang Wen, Ge You – Yi bu zhi yao | Gone With The Bullets
© Beijing Buyilehu Film & Culture Co., Limited

Cette fable à la fois romantique et satirique se déroule dans le Shanghai des années 1920 et raconte l’histoire de l’anti-héros Ma Zouri (joué par Jiang Wen lui-même) qui créé avec son ami d’enfance un concours de beauté international dans la partie française de la ville. La maitresse de Ma Zouri gagne l’élection de « Présidente de l’Escort Nation ». Après cette victoire, Wanya veut que Ma Zouri l’épouse. Dès cet instant, la roue de la destinée va dévisser et à partir de son propre élan décider de la direction que les choses vont prendre…

De Jiang Wen ; avec Jiang Wen, Ge You, Zhou Yun, Shu Qi, Hung Huang ; République populaire de Chine/ Hong Kong ; 2014 ; 120 min.

 

Malik Berkati, Berlin

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Malik Berkati

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