Berlinale 2015 – Compétition jour #9: Une cinématographie vietnamienne envoûtante, une Cendrillon flamboyante, des anges-scénaristes japonais de nos vies!
Voilà, le dernier jour de compétition de cette 65e édition du Festival international du film de Berlin est achevé. Les résultats seront donnés samedi 14 à 19hoo lors du gala de clotûre, vous pourrez les retrouver sur nos pages avec nos commentaires et ceux des lauréats le soir même.
En attendant, quelques lignes sur les trois derniers films présentés dans la sélection reine : compétition/hors compétition
Cha và con và (Big Father, Small Father and Other Stories)
Saigon dans la fin des années nonante. Vu est étudiant en photographie et vit en colocation avec une bande d’amis. Son père lui offre un appareil photo tout neuf et cher pour ce paysan qui l’a payé l’équivalent de 2 tonnes de riz. Vu va commencer à explore avec ce nouvel œil la ville, ses gens, son environnement et découvrir un autre monde, celui des bas-fonds, de la sensualité mais aussi de la violence.
Ce film touche à de nombreux sujets sociétaux, ou plutôt les effleure: la ville vs. la campagne, la pauvreté, la politique de contrôle des naissances, la paternité, la place des femmes ainsi que celle de l’homosexualité dans une société traditionnelle, la drogue, etc.. La cinématographie du film est envoûtante, la caméra nous immerge dans les quatre éléments du feu, de la terre, de l’eau et de l’air, embrasse les corps de manière quasi organique, produit des métaphores émotionnelles à travers les magnifiques paysages du Mékong – ses jungles et marécages impénétrables- et les prises de la vie moderne qui s’installe en ville et des transformations qu’elle engendre. Le réalisateur explique que « beaucoup de moments d’inspiration sont intervenus sur le tournage. J’ai dû m’adapter aux acteurs, à ce qu’ils pouvaient ou ne pouvaient pas faire, des scènes ou des éléments qui n’étaient pas dans le scénario sont apparus à partir de ce qu’il se passait avec leurs corps. »
Phan Dang Di nous dépeint ici la période qu’il a vécue lorsqu’il était étudiant en cinéma: « J’ai grandi quand le monde entier et le Vietnam également entrait dans une nouvelle ère (la chute du Mur de Berlin, N.D.A.). Une période passionnante de ma vie était celle de mes années d’études dans les années 95-96. Cela correspondait à une grande crise économique asiatique. Les enfants de l’après-guerre (1975, N.D.A.) rentrait justement sur le marché du travail, et il n’y en avait pas pour tous. Le gouvernement a donc décidé d’un programme de stérilisation masculine (sur base volontaire, N.D.A.) pour les hommes qui avaient déjà des enfants. »
Le film est beau. L’idée est belle. Mais au-delà de l’esthétique métaphorique, il manque un peu de consistance au scénario. Ici l’histoire est au service de l’image. C’est une proposition tout a fait honorable de l’art cinématographique, cela peut toutefois ennuyer certains spectateurs.
De Phan Dang Di; avec Do Thi Hai Yen, Nguyen Ha Phong, Le Cong Hoang, Truong The Vinh, Mai Quoc Viet, Le Van Hoang, Nguyen Thi Kieu Trinh, Nguyen Thi Thanh Truc, Nguyen Thien Tu, Chau The Tam; Vietnam/Pays-Bas/Allemagne/France; 2014; 100 minutes.
Cinderella
De ce film hors compétition, nul besoin de raconter l’histoire. C’est la même qui est racontée depuis des générations aux enfants. Sauf qu’ici, c’est Kenneth Branagh qui nous donne sa version, laquelle est flamboyante, pleine d’humour et réjouissante.
Le piège dans lequel sont tombés Wim Wenders et Werner Herzog, Branagh, lui, a su l’éviter: l’erreur de casting ! Alors que les réalisateurs cités choisissaient le pellucide James Franco qui se prend au sérieux tout comme les réalisateurs et leurs scenarii dégoulinant de pathos et de ridicule, le cinéaste a choisit un prince à la tête de l’emploi (Richard Madden) mais qui malgré ses œillades n’est jamais loufoque, la subtilité étant ici dans le fait qu’il est évident que l’acteur ne se prend pas au sérieux et que le réalisateur le filme de manière à ce que le spectateur sache qu’il ne se prend pas au sérieux. Ceci est un conte de fée et il faut qu’il soit clairement identifiable comme telle. C’est ce qui lui donne sa magie et fait toute la différence…
Lily James (Lady Rose MacClare dans Downton Abbey) en Cendrillon est d’une fraîcheur qui ressemble à ce qu’elle est en-dehors de l’écran, Cate Blanchett déguste visiblement son rôle de marâtre odieuse et méchante – Lady Tremaine, et Helena Bonham Carter, en marraine fée un peu chaotique, est délicieuse.
La petite anecdote: lors de la première édition de la Berlinale en 1951, la version animée de Disney de Cendrillon avait reçu l’Ours d’or dans la catégorie film musicaux. Joli clin d’œil que 65 ans plus tard, la version incarnée y soit également présentée.
De Kenneth Branagh; avec Cate Blanchett, Lily James, Richard Madden, Stellan Skarsgård, Holliday Grainger, Sophie McShera, Derek Jacobi, Helena Bonham Carter ; États-Unis/Royaume-Uni ; 2014 ; 104 minutes.
Ten No Chasuke (Chasuke’s Journey)
Ceux qui croient qu’être au ciel est une sinécure se trompent! Des douzaines de scribes travaillent inlassablement à écrire sur de longs rouleaux le scénario des vies de ceux qui sont sur terre. Mais il ne suffit pas d’inventer leur vie, Dieu est exigeant et le voilà qui demande à ses scénaristes plus d’Avant-garde ! Du coup, le destin de la belle Yuri (Ito Ohno) qui doit mourir dans un accident de voiture paraît ennuyeux. Pour mettre un peu d’avant-garde à l’histoire qu’ils ont écrite, les scénaristes envoient Chas – le jeune homme qui leur sert du thé pendant qu’ils écrivent – sur terre pour sauver Yuri coûte que coûte. C’est ainsi que Chas (Kin’ichi Matsuyama) débarque – ou plutôt tombe – à Okinawa, fait la connaissance des êtres humains, interfère dans leurs destins, devient célèbre en tant que M. Ange et fini par être poursuivi par des ennemis très brutaux, revenants du passé de sa première vie.
Le scénario est tiré du roman que Sabu a écrit puis adapté pour en faire ce scénario. L’idée de départ est excellente. Les premières images dans l’espace de travail des scénaristes de nos vies dans le ciel promettent beaucoup… puis malheureusement le ressort se détend. Il ne manque pas de moments d’humour, de trouvailles narratives (par exemple à chaque fois que quelqu’un dit à Chas qu’il est un sauveur, il vomit), en revanche l’accumulation de scènes faisant références à l’histoire du cinéma (deux des trois films asiatiques présentés à cette Berlinale font des références appuyées au cinéma mondial en reproduisant des scènes entières de films grand public ou plus cinéphiles) et les répétitions de situations lassent un peu. Quant à la cinématographie électrique, les rencontres entre les personnages tels des électrons qui s’entrechoquent, cette impression de saut quantique due au fait que le réalisateur fait un grand travail de coupe et de montage, ceci relève des goûts individuels des spectateurs.
De Sabu ; avec Ken’ichi Matsuyama, Ito Ohno, Ren Ohsugi, Yusuke Iseya, Hiromasa Taguchi, Tina Tamashiro, Hiroki Konno, Orakio, Susumu Terajima ; Japon ; 2014 ; 106 minutes.
Malik Berkati, Berlin
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