Berlinale 2017 compétition jours #3: Félicité / Final Portrait / Wilde Maus
Et, pour ce 3è jour de compétition, rebelote pour le combo 9h-12-15h idéal-typique de la Berlinale, un peu moins marqué peut-être que la veille.
Félicité
Il y a des films dans lesquels on entre d’emblée, d’autres que l’on rejette très rapidement avec toute une palette entre deux. Et puis, il y a les films qui requièrent du spectateur de la patience. Patience de voir les choses se placer, patience de comprendre que les chemins qui mènent à ce que l’on veut nous raconter ne sont ni linéaires ni à sens unique. Soyons honnête, le film d’Alain Gomis est un peu trop long, cette patience-là, il faut aussi savoir la gérer, mais au final elle est récompensé : dans le sourire de Félicité, l’espoir est permis.
Le réalisateur franco-sénégalais nous raconte une histoire très simple qui nous plonge dans le quotidien d’une ville africaine dont les rapports au sein de la société sont très durs comme sont violents les rapports des citoyens avec les agents et institutions étatiques. Félicité chante dans un bar de Kinshasa où les clients très alcoolisés se délestent du flux d’énergie négative dont ils sont chargés. Le port de tête hautain, évitant le contact avec les gens, elle ne semble s’animer que lorsqu’elle chante. Un matin, un coup de fil : son fils est à l’hôpital. C’est ici que l’héroïne revête les habits de Mère Courage, ravale sa morgue et arpente la ville à la recherche de l’argent nécessaire pour payer les soins demandés par l’hôpital pour opérer son fils. Cette trame permet au réalisateur de nous entraîner dans les marchés kinois, les rues et les trottoirs où la vie s’étale dans la récupération, les déchets, les gens qui s’y installent pour la journée.
La facilité, pour le spectateur impatient, aurait été que la tragédie qui se joue dans cet événement banal dans une capitale de plus de 10 millions d’habitants mais accablant pour une mère et son fils, appuie sur les ressorts de la tragédie personnelle, de l’injustice d’un système corrompu, de l’introduction de réseaux de solidarités qui n’existent pas en l’état. Alain Gomis est plus subtil et réaliste. Il met dans son récit les nuances qui teintent la vie. Il n’y a pas ni jugement ni sentence, il y a un regard offert à d’autres regards qui l’interprètent à l’aune de leurs propres perceptions. La cinématographie a un rôle à part entière avec un dispositif de caméras au plus près des personnages permettant de filmer dans les lieux réels et reproduire l’atmosphère, et surtout ses séquences oniriques sur un jeu de couleurs. À ceci s’ajoute des intermèdes de musique classique interprétés par les Kasai Allstars et un chœur de chanteurs qui renvoie « au chœur antique », comme l’explique Alain Gomis qui poursuit : « je n’ai pas fait une étude psychologique, j’ai montré des personnages et une histoire. Je voulais, à travers l’orchestre et le chœur, vous détacher des personnages et vous ramener à vous-mêmes. Mon travail de réalisateur, c’est de vous faire entrer et sortir de l’histoire. Il est important d’aborder la vie quotidienne, mais aussi la partie invisible, les choses qui se passent en nous, dans les endroits immatériels. C’est là que se déroulent vraiment nos vies. »
Félicité n’est pas forcément sympathique, mais elle est méritante car elle affronte la réalité et lutte pour se relever. Loin des happy ends sirupeux d’un certain cinéma, le sourire que Félicité arbore enfin est une fenêtre vers l’avenir qui n’est pas déterminé à être sombre.
D’Alain Gomis ; avec Véro Tshanda Beya, Papi Mpaka , Gaetan Claudia et le Kasai Allstars ; France, Sénégal, Belgique, Allemagne, Liban ; 2017 ; 123 min.
Final Portrait
Faisons court pour un film dont la durée est de 90 minutes réelles mais des plombes ressenties. Ici ce n’est pas de la patience qu’il faut avoir, c’est un besoin de faire une sieste ou de déconnecté son cerveau pour un moment. Sinon, c’est un sentiment d’agonie sans fin assuré.
Nous sommes donc en 1964 et le peintre et sculpteur suisse Giacometti fait le portrait du critique d’art et auteur de biographies d’artistes étasunien James Lord. À partir de là, une série de poncifs sur la vie d’artiste dans une maison-atelier (beuveries, coucheries, frustration permanente inhérente aux grands artistes, etc). Le pire est certainement dans les clichés placés pour un public assurément tenu pour crétin, avec, puisque nous sommes à Paris, un boulanger qui apparaît sans aucune raison narrative dans le champ d’une rue reconstituée poussant – avec difficulté, il ne soit pas le faire souvent – une nasse sur roulettes contenant une bonne trentaine de baguettes, ou, puisque Alberto et Diego Giacometti sont suisses, la réflexion ahurie de John Lord envers les frères lorsqu’ils cherchent à cacher dans l’atelier une somme énorme d’argent liquide : « Mais vous êtes Suisses ! Il y a les banques ! » ce à quoi ils répondent « Ah, mais on est Suisses italiens ! » On passera généreusement sur le fait que le Grisonnais Giacometti parle en français avec l’accent anglais (étant donné que l’acteur est australien, il est possible pour une oreille avertie que l’accent ne soit pas british mais aussie…) mais il faut reconnaître que le seul qui sort son épingle du jeu de cette production indigente est Geoffrey Rush qui interprète très bien l’artiste torturé, manipulateur, chaotique avec une ressemblance visuelle convaincante.
Lors des interminables sessions de poses pour ce portrait que le peintre ne veut/peut pas terminer, Giacometti exprime inlassablement sa contrariété et sa frustration par un « merda ».
Pas mieux !
De Stanley Tucci ; avec Geoffrey Rush, Armie Hammer, Clémence Poésy, Tony Salhoub, Sylvie Testud ; Grande-Bretagne, France ; 2017 ; 90 minutes.
Wilde Maus
Cette « souris sauvage », c’est le nom que portent de nombreuses montagnes russes dans le monde germanophone. La vie du critique de musique Georg se déroule sur une autoroute sans encombres … jusqu’au jour où il arrive au péage du dégraissage de la masse salariale du journal pour lequel il écrit depuis des décennies. Une difficulté n’arrivant que rarement seule, les choses s’enchaînent pour Georg dans une série de déconvenues qu’il essaie de compenser par une série d’actions absurdes de vengeance qui lui procurent de courts moments de soulagement. Personnellement, il se retrouve également à un croisement: sa femme Johanna psychothérapeute ayant passé la quarantaine, elle cherche désespérément à tomber enceinte, ce qui n’enthousiasme Georg que très modérément, ceci d’autant plus qu’il lui cache son licenciement.
Ce qui sous d’autres cieux cinématographiques aurait été lesté de bavardages et de punchlines formatées et/ou gags calibrés, n’est pas forcé chez Josef Hader, célèbre acteur autrichien signant ici son premier film. Pour lui, il était important de « toujours rester attentif à maintenir un équilibre entre la tragédie et la comédie et que cet équilibre se reflète également dans les dialogues. J’avais l’impression qu’en ce faisant, cela créerait une représentation de la vie proche de la manière dont je perçois ma vie. » Hader, qui est non seulement réalisateur et acteur dans ce film mais également scénariste, a mené avec beaucoup d’adresse son récit : son antihéros nous est sympathique car il est victime d’injustice, car il est un peu misanthrope, de mauvaise fois, égoïste, borné et toutes sortes de qualités qui animent chaque personnes à des doses différentes; et par conséquent nous ressemble. Il le dit lui-même à sa femme, « il a toujours été comme une île entourée d’eau sans réelle connections avec ce qu’il y avait autour.» Il aura fallu que sa vie dérape pour qu’il prenne conscience du monde qui l’entoure et se rendre compte que l’injustice dont il a été victime, il l’a peut-être perpétrée à l’encontre d’autres personnes avec ses critiques réputées assassines.
[C’est là que le critique regarde un peu plus haut dans son papier et pendant un quart de millième de seconde se pose la question… mais non, décidément non…]
Très jolie comédie, servie par d’excellents acteurs et quelques beaux plans de paysages, dans la montagne et la neige ou sur le haut des montagnes russes. Certes, sa présence dans la section compétition du festival en déroute plus d’un, mais après tout, il vaut mieux une tragi-comédie qui divertit tout en parlant de nos vies qu’un film prétentieux qui s’écoute parler ou se regarde filmer !
De Josef Hader ; avec Josef Hader, Pia Hirzegger, Georg Friedrich, Jörg Hartmann ; Autriche ; 2017 ; 103 minutes.
Malik Berkati, Berlin
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