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Berlinale 2017 – Panorama: Insyriated

Hiam Abbas dans la distribution d’un film, c’est déjà être assuré pour moitié de la réussite d’un projet. L’autre moitié d’Insyriated est menée de main de maître par le réalisateur belge Philippe Van Leeuw qui nous tient captif dans un appartement-refuge – mais pas sanctuarisé – au milieu d’une ville en guerre. Comme le titre l’indique, la guerre est celle qui se déroule en Syrie. Cependant, la situation renvoie à un sentiment de déjà-vu. Déjà-vu à en Espagne dans les années 30. Déjà-vu au Liban dans les années 70-80. Déjà-vu au Rwanda. Déjà-vu à Sarajevo. Déjà-vu partout où la guerre civile sévit, cette forme de guerre, abjecte dans l’abjecte intrinsèque, qui fait de son voisin, de son ami, d’un membre de sa famille le possible bourreau, où les fondements formels ou moraux de base ne tiennent que par la volonté des uns et des autres de rester humains, où la forme la plus primitive de vie devient la règle et se nomme survie.
Ce sentiment de déjà-vu reproduit par Philippe Van Leeuw est insupportable car il n’entraîne pas comme on pourrait le craindre le détachement de l’habitude mais colle aux pupilles une question désespérante : comment, pourquoi, les êtres humains en arrivent à ce niveau d’autodestruction ? Et dans la foulée, une autre question qui refuse à se formuler nettement mais se fond en arrière-plan de la précédente : et si un jour cela nous arrivait ?

De l’immeuble dévasté, il ne reste plus que l’appartement d’Oum Yazan (Hiam Abbas) qui héberge son beau-père, ses trois enfants, son neveu, un jeune couple de voisin avec leur bébé et la gouvernante asiatique de la famille. Oum Yazan tente vaille que vaille de garder une structure de vie dans cet appartement duquel ils ne peuvent pas sortir sans risquer d’être touché par un sniper, à travers les rituels du matin où l’on fait son lit et se lave, à midi où l’on mange ensemble, etc. La salle de bains est d’ailleurs un élément central de l’appartement : c’est là que l’on conserve sa dignité malgré le manque d’eau, c’est là qu’on lave les outrages de la violence, c’est là qu’un semblant de quotidien se cristallise dans la rangée des brosses à dents et tubes de dentifrice.

Véritable mère courage, Oum Yazan tient tout son monde d’un ton ferme, parfois brutal, mais qui laisse transparaître la nécessité produite par la peur et le désespoir. La peur se reflète de manière différente pour chaque protagoniste mais la dureté et la violence de la situation se retrouve en tension, parfois larvée parfois éclatante, dans les mécanismes de survie de chacun.
Chaque bruit extérieur est synonyme de sursaut, d’inquiétude. Les ouvertures de l’appartement jouent un rôle essentiel dans ce huis clos. L’eau qui n’arrive plus au robinet, la porte renforcée qu’il faut se mettre à deux pour ouvrir et fermer, et surtout les fenêtres, derrière les persiennes et les rideaux, petite ouverture vers l’extérieur devant laquelle on sait le danger de se mettre mais dont on ne peut s’empêcher de s’approcher pour regarder ce qu’il se passe.

Juliette Navis, Hiam Abbass - Insyriated © Altitude 100 / Virginie Surdej
Juliette Navis, Hiam Abbass – Insyriated
© Altitude 100 / Virginie Surdej

Petit à petit l’appartement-refuge devient prison et le danger qui frappe régulièrement à la porte finit par rentrer par la fenêtre. Les situations auxquelles ont à faire face les protagonistes deviennent extrêmes et leurs décisions existentielles. L’horreur tient autant à ces décisions qu’aux actes criminels dont elles sont le produit. C’est ici que le public sort de la zone de confort du simple spectateur. Et moi, qu’aurais-je fait, quelle action aurais-je entrepris, aurais-je simplement entrepris quelque chose ? Des sacrifices doivent être parfois faits pour que la majorité survive. C’est rationnel. Mais quid de la morale, de la responsabilité collective, du sentiment de culpabilité ?

Comme nous ne vivons pas dans un film hollywoodien, nous savons parfaitement qu’il n’y a pas un sauveur qui va arriver miraculeusement sortir les protagonistes de cette situation et les spectateurs de leur trouble. Et c’est tant mieux. Sinon comment ouvrir les yeux à temps lorsque ce spectre qui plane sur ce monde passera à nouveau devant notre fenêtre…

De Philippe Van Leeuw ; avec Hiam Abbas, Diamand Abou Abboud, Juliette Navis, Mohsen Abbas, Moustapha Al Kar ; Belgique, France, Liban ; 2017 ; 85 minutes.

Malik Berkati, Berlin

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Malik Berkati

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