Berlinale 2020 – Compétition: Siberia – L‘archipel du goulag intérieur d’Abel Ferrara
Abel Ferrara est un vieil habitué des personnages controversés et tourmentés qui tentent de survivre dans un monde sombre. Son Pasolini (2014) en est un excellent exemple mais aussi Welcome to New York (2014) où Gérard Depardieu interprétait un personnage directement inspiré par Dominique Strauss-Kahn.
Dans Siberia, présenté en compétition, Ferrara délaisse son New York natal et le Bronx où il a tourné Bad lieutenant (1992) et King of New York (1990) pour les terres enneigées des montagnes sibériennes. Willem Dafoe y est Clint, un ermite vivant de la vente d’alcool de son bar fréquenté par des trappeurs, qui tente d’échapper à son passé.
Hanté par les souvenirs de son ex-femme et de son fils (joué par la propre fille de Ferrara) et lui-même enfant malmené, Clint décide un soir de se confronter et entame un voyage en traîneau à chiens dans les solitudes gelées. Rêves, souvenirs et imagination l’amènent avec ses chiens au cœur d’une grotte où il devra gravir les montagnes russes de sa psyché, un véritable goulag de l’esprit habité du fantôme de son père mais aussi de présences démoniaques.
Peu enclin aux explications, le réalisateur dit qu’il n’a pas essayé de créer un scénario parfait mais de collectionner les images et de puiser dans la mémoire, en vue d’engendrer des opportunités, de remettre en question notre façon de penser et de créer une expérience suffisamment vitale et transparente pour qu’elle trouve un écho auprès du public. Le Livre rouge de Carl Gustav Jung, riche en archétypes, a d’ailleurs servi au réalisateur pour créer ses scènes.
Les images de montagnes enneigées et d’animaux baignant dans une lumière verte donne à Siberia une atmosphère glauque de fin du monde. On peut cependant regretter que le scénario de Ferrara comporte autant de phrases clichés et que son montage coupe parfois le fil de la prestation de Willem Dafoe. L’acteur américain, qui a désormais passé le cap des 100 films, donne tout ce qu’il a (ce qui est considérable) dans ce film complexe et non-linéaire, qui risque d’en irriter plus d’un. Mais ceux que l’esprit humain, dans ses méandres, continue de fasciner trouveront un écho dans cette œuvre habitée par une quête archétypale et une touche de bizarrerie bienvenue au milieu des histoires convenues du cinéma actuel.
De Abel Ferrara; avec Willem Dafoe, Dounia Sichov, Simon McBurney, Cristina Chiriac, Daniel Giménez Cacho; Italie, Allemagne, Mexique; 2020; 92 minutes.
Anne-Christine Loranger, Berlin
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