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Berlinale 2021 – Compétition : Petite Maman de Céline Sciamma, un film bouleversant qui ne tombe jamais dans le pathos

Combien de fois entend-on, ma mère, c’est plutôt une amie, ou inversement ? Eh bien dans ce petit bijou que nous tend Céline Sciamma, cette relation filiale et amicale prend une dimension réelle qui dépasse les constructions mentales et leurs interprétations ; Nelly (Joséphine Sanz), la petite fille de 8 ans rencontre dans les bois sa mère, Marion (Gabrielle Sanz), qui a, elle aussi, 8 ans. Le fantôme vient ici du futur, un fantôme bienveillant qui va se nouer d’amitié avec sa mère en devenir.

— Joséphine Sanz, Gabrielle Sanz – Petite Maman
© Lilies Films

La poésie naturaliste que dégage le dernier film de la réalisatrice acclamée pour son fabuleux Portrait de la jeune fille en feu (2019) envoûte autant qu’elle souffle un sentiment d’autoréflexion. Petite Maman est de prime abord beaucoup moins sophistiqué que le Portrait. C’est idiot, mais ce dernier film a tellement marqué les esprits qu’il faut quelques minutes pour se détacher de cette référence. Cela tombe bien, les choses se mettent en place de manière presque banale : Nelly vient de perdre sa grand-mère adorée, la mère de Marion. Avec ses parents, elle se rend dans la maison d’enfance de sa mère pour la nettoyer te la vider. L’enfant se met à explorer la maison, la forêt où sa mère avait l’habitude de jouer et de construire la cabane dans l’arbre dont Nelly a tant entendu parler, à poser des questions auxquels ses parents, chacun dans son monde et sa mémoire, peine à répondre. Un matin, Marion (Nina Meurisse) n’est plus là, la charge émotionnelle étant trop grande, elle a laissé son compagnon (Stéphane Varupenne) et sa fille finir le travail. Livrée à elle-même, la fillette part à la recherche de ce fameux arbre. C’est à ce moment qu’elle rencontre la petite Marion qui construit la cabane.

Les deux fillettes sont reliés par cette filiation advenir, mais aussi par une solitude qui les accompagne toute les deux dans leur enfance : Marion car sa mère souffrait d’une maladie héréditaire des os qui la clouait au lit, Nelly car sa mère, et aussi son père, bien qu’aimants restent éloignés d’elle au niveau du partage des émotions comme de la présence physique. Au moment de se coucher, Nelly demande par exemple à sa mère si elle avait peur la nuit dans cette chambre ; Marion botte en touche, lui répliquant qu’elle attend toujours le moment de se coucher pour poser des questions, ce à quoi la petite fille répond : « c’est le seul moment où je te vois ! »

Nous sommes au tiers du film et on se glisse, hypnotisés, dans cet espace-temps parallèle qui remet en forme le monde intérieur de ces deux fillettes qui jamais ne semblent effrayées par ce qu’il leur arrive, totalement confiante l’une envers l’autre et consciente de ce saut quantique. Lorsque Marion demande à Nelly si elle vient du futur, cette dernière lui répond : « Je viens du même chemin que toi ». Nelly fait des allers-retours entre ces mondes, voyage de toute beauté qui lui permet de revoir sa grand-mère d’un côté et de nouer un lien plus serré avec son père de l’autre. Et comme le chemin va dans les deux sens, c’est le plus naturellement du monde que Marion ira dans la maison à présent vide où elle rencontrera brièvement son futur compagnon. Certaines scènes imbriquent toutes les temporalités qui fusionnent dans de délicieux dialogues, principalement fruits de la curiosité de Marion sur ce qu’il va arriver, ainsi que cette mise en abîme totale avec l’incroyable discussion entre la fille et sa petite maman sur le désir d’enfant.

Le tour de force de ce film est de ne jamais jouer et appuyer sur les sentiments, tout est contenu dans un écrin qui magnifie la simplicité, la sobriété, sans aucun artifice, juste une magnifique photographie de lumière d’automne – la caméra est tenue par Claire Mathon – et des intérieurs filmés en studio qui donne un rendu plus vrai que nature puisque la réalisatrice, en collaboration avec sa directrice de la photographie, a pu reconstituer « des intérieurs qui étaient pour partie familiers, ceux de mes grand-mères, mais aussi des espaces intimes qui font écho à la mémoire collective sur les intérieurs français de la seconde moitié du 20e siècle », explique-t-elle.

La magie de Petite Maman réside dans ce lien réparateur, consolant, rassurant qui se tisse entre les deux protagonistes ; Marion et Nelly comprennent leurs peurs et souffrances mutuelles, les non-dits sortent de l’ombre et chacune peut déculpabiliser et tranquilliser l’autre. On oublie généralement beaucoup de son enfance, pour diverses raisons, le père de Nelly semble lui aussi avoir énormément oublié, car, comme il le chuchotera avec beaucoup de pudeur dans l’oreille de sa fille, « il avait très peur de son père », et on ne sait pas si Marion adulte se rappelle de Marion enfant, mais la fin, sublime de retrouvaille entre Nelly et sa maman nous laisse le choix de répondre à l’aune de notre perception, avec un sourire nostalgique sur les lèvres : Qui n’a pas voulu un jour rencontrer les êtres aimés dans la partie de leur vie avant soi?

De Céline Sciamma ; avec Joséphine Sanz, Gabrielle Sanz, Nina Meurisse, Stéphane Varupenne, Margot Abascal ; France; 2021; 72 minutes.

Malik Berkati

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