Napoelon de Ridley Scott : lourdeau et pleurard
Évacuons tout de suite un malentendu : ce film n’est ni un biopic ni un film historique. Scénarisé par David Scarpa, Napoleon use de la licence artistique pour permettre à Ridley Scott, pourtant fasciné par l’histoire – « j’ai une préférence pour le drame historique » dit-il – de présenter sa propre version de Napoléon. Hélas, le point de vue fait cruellement défaut, le Napoléon de Scott oscillant en permanence entre l’envie de lui donner un souffle épique et le cantonner dans l’espace de la mégalomanie. Résultat : nous avons un citoyen-soldat, puis un empereur-soldat qui semble surtout coincé dans un comportement infantile qui part à la guerre d’abord pour rendre fière sa mère. Une fois que Joséphine (Vanessa Kirby) apparaît dans sa vie, toute sa psychologie guerrière et d’accession au pouvoir s’appuie sur son amour, à la fois inconditionnel et contrarié, pour cette femme plus âgée que lui – même si l’actrice qui l’incarne est plus jeune que Joaquin Phoenix, mais Ridley Scott n’en est pas à un choix approximatif près. « Tu n’es rien sans moi ou ta mère », lui assène d’ailleurs Joséphine lors de l’une de leurs disputes.
Dommage, car le sujet semble passionner le cinéaste puisque son premier long métrage, The Duellists (1977), basé sur la nouvelle The Duel de Joseph Conrad, avait pour décor déjà les guerres napoléoniennes en France. « L’histoire napoléonienne marque le début de l’histoire moderne. Il a changé le monde ; il a réécrit les règles », explique Scott lors de la promotion de Napoleon.
Le film, qui dure à l’origine quatre heures, réduites à 158 minutes pour cette (première ?) version, a pour ambition de retracer l’ascension opportuniste de l’officier à la tête d’un empire, de l’exécution de Marie-Antoinette en 1793, jusqu’à sa mort en 1821 à Sainte-Hélène. Dès la scène d’ouverture, on esquisse un sourire, tant le public cible se dessine au premier degré sur l’écran : Marie-Antoinette, bravache, qui se rend à l’échafaud, au ralenti, sur le célèbre chant révolutionnaire Ah ça ira, interprété ici par la chanteuse la plus connue des Anglo-Saxons, Édith Piaf, leur permettant ainsi de se projeter facilement dans leur imaginaire de la France.
La représentation de Napoléon par Joaquin Phoenix est très troublante, là encore le réalisateur n’arrive pas à prendre position, il y a une sorte de dissociation cognitive entre ce qu’il veut dire et ce qu’il montre, à tel point que dans les scènes où Napoléon doit à son charisme de galvaniser les citoyen·nes, ses troupes ou reconquérir la confiance de son régiment à sa sortie d’exil, on se demande bien comment quiconque ait pu avoir foi en lui !
Restent les scènes de bataille, sur fond de musique chamano-polyphonique, tournées avec de nombreuses caméras et chorégraphiées par le conseiller militaire Paul Biddiss, d’une grande efficacité dans le rendu du tumulte et de la boucherie de ces combats. Cependant, Ridley Scott use et abuse du ralenti qui nuit à la cinématographie autant qu’au narratif porté – et il n’avait vraiment pas besoin de ces poids supplémentaires – par ces poncifs du cinéma dit épique que sont la musique emphatique, la compilation d’épisodes alternant entre les grandes phases en panoramique et les séquences plus intimes en plans rapprochés, ainsi que précisément les ralentis répétitifs.
Autant aller voir ce film à plusieurs, avec des goûts différents, l’impression d’ensemble pourrait être plus avantageuse dans des discussions où celles et ceux qui aiment les mélodrames qui se jouent dans les affres d’un amour toxique (bien que là aussi, il manque de la profondeur psychologique au personnage de Joséphine) et celles et ceux qui se plongent éperdument dans le spectacle des grandes scènes de batailles peuvent sommairement recoller les morceaux.
De Ridley Scott; avec Joaquin Phoenix, Vanessa Kirby, Tahar Rahim, Mark Bonnar, Rupert Everett, Paul Rhys, Ben Miles, Youssef Kerkour, Miles Jupp, Édouard Philipponnat ; États-Unis, Royaume-Uni; 158 min.
Malik Berkati
j:mag Tous droits réservés