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Berlinale 2021 –  Encounters : Das Mädchen und die Spinne des frères Bernois Ramon Zürcher et Silvan Zürcher, un film qui capture et captive l‘attention

Film d’atmosphère qui se joue en permanence sur la frontière entre le terre-à-terre et le monde intérieur, explorant les mécanismes de séparation et le sentiment de solitude, Das Mädchen und die Spinne est l’une des deux contributions suisses à Encounters, la section compétitive dédiée aux nouvelles visions cinématographiques.

Le fil narratif est ténu, mais comme celui d’une toile d’araignée, pour filer la métaphore du titre jusqu’au bout !, il s’élargit petit à petit pour finir par tisser un espace cohérent de sensations, d’émotions, d’impressions, d’échos et effets de miroirs, sans tomber dans le piège de l’hyper-conceptuel qui mobiliserait trop l’intellect.

— Liliane Amuat, Henriette Confurius – Das Mädchen und die Spinne (The Girl and the Spider)
© Beauvoir Films

Lisa quitte l’appartement partagé avec Mara pour vivre seule. Pendant les deux jours et la nuit du déménagement, de nombreuses choses se cassent, d’autres se mettent en place, littéralement comme allégoriquement. Presque exclusivement en intérieur, l’action est celle du bouleversement des énergies et de la place (et du replacement) des gens et des choses quand quelque chose se termine et une autre chose commence. C’est Lisa qui part, mais c’est à travers le ressenti de Mara que l’on suit ces bouleversements. Le cinéma des frères Zürcher nous entraîne dans un univers fait de regards, beaucoup de regards – chose qui nous semble presque déconcertante dans un monde où les gens ne se regardent plus dans l’espace public, de sourires timides ou insistants, mais quasi permanents – chose tout aussi singulière dans un monde où les gens ne se sourient plus dans l’espace public, mais aussi sourires intérieurs, gênés, tristes, sourires paravents souvent, de sons qui se mêlent, s’entrechoquent, se répondent, s’allient, de mouvements étudiés, parfois à la limite de l’artificialité, mais aussi maladroits, inconscients, parlants malgré celles ou ceux qui en sont l’auteur, de détails qui communiquent avec le spectateur, le tout porté par une continuité et une fluidité qui donnent consistance au récit.
Autre trouvaille, et réussite, du duo bernois, le son explicite et connu de toutes et tous qui fait office de gouvernail narratif, la chanson Voyage Voyage déclinée selon les instants et les humeurs sous différentes formes allant de l’originale de Desireless à une version fredonnée et comme effilochée dans l’air.

Cette histoire dégage une étrange atmosphère, où une véritable grosse araignée fera quand même furtivement son apparition deux fois, faite de prosaïque et de bizarrerie qui, en sourdine, affleure dans une recherche de sensation de beauté et de plénitude dans le chaos qui n’émerge que trop rarement de l’ordre des choses.
Tout ce petit monde (la mère de Lisa, les voisines, les enfants de l’immeuble, le monteur-déménageur et son jeune collègue, les autres colocataires, l’employée du magasin d’en face même)  flirte avec les limites et les autres dans une atmosphère flottante, avec toujours un je-ne-sais-quoi de menaçant toujours contrebalancé par cette fluidité de déplacements et de mouvements à la manière d’un ballet qui défige les choses et empêche de s’ancrer dans ces moments indéfinissables. Une appétence pour les éclats de vie, même dans la douleur avec, pour battre la cadence, des portes qui s’ouvrent, se ferment, se montent, se démontent – où l’on apprend que même les portes fermées, on peut entendre à travers; et les fenêtres aussi, des bris de verre et des petites blessures. Cette chorégraphie est fascinante, on se laisse entraîner sans savoir pourquoi on est là et où cela nous mène, mais le flow et l’étrangeté nous capte, nous suspend, nous tient en haleine.

Entre les deux jours, l’ambiance, ponctuée par une nuit de transition et de débuts de replacements, évolue, le second jour commençant clairement de manière plus tendue. Les accords qui semblaient fragilement tenir le premier jour de déménagement laissent place, le deuxième jour, celui de l’emménagement, à des désaccords – symbolisés entre autre par le jeu au piano par Mara de Voyage Voyage légèrement déconstruit – qui se révèlent plus précisément.

La ligne droite n’est ici définitivement pas jugée la plus courte pour aller quelque part, ou vers quelqu’un puisqu’il s’agit principalement d’interactions amoureuses, filiales, amicales, de voisinage, animalières. Un dialogue éloquent entre la mère de Lisa, Astrid et Jurek, le déménageur-monteur qui essaie de réparer une fenêtre récalcitrante :

Astride : certaines fenêtres ne veulent pas être fermées !
Jurek: il suffit de les forcer.
Astrid: alors elles crient très fort, jusqu’à nous rendre fous. Et on brise la vitre avec le poing et c’est de nouveau calme. Et la fenêtre s’ouvre.
Jurek: jusqu’à ce que quelqu’un arrive et la répare.

Il est question dans cette communauté bourdonnante et active comme dans une ruche de solitude qui s’exprime de manière différente et de recherche de lien et de liant.

— Flurin Giger, Henriette Confurius, Dagna Litzenberger Vinet – Das Mädchen und die Spinne (The Girl and the Spider)
© Beauvoir Films

Das Mädchen und die Spinne capture et captive par son balancement permanent entre les situations triviales et communes et l’artifice des postures, des dialogues et des anecdotes réels ou rêvées. Les sens sont hypnotisés et les effluves poétiques de cet ensemble font écho à ce que chacun ressent, peut ressentir, a ressenti dans sa vie ; des choses et gens qui sont là, puis disparaissent tout en laissant quelque chose comme une toile d’araignée de souvenirs ou de sensations qui un jour ou l’autre disparait aussi. Et de nous rappeler qu’au fond, on est nous et on ressent les choses en nous, pas dans, à travers ou chez les autres.

De Ramon Zürcher et Silvan Zürcher ; avec Henriette Confurius, Liliane Amuat, Ursina Lardi, Flurin Giger, André M. Hennicke, Ivan Georgiev, Dagna Litzenberger Vinet, Lea Draeger, Sabine Timoteo, Birte Schnöink ; Suisse ; 2021 ; 98 minutes.

Malik Berkati

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