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Berlinale 2023 – compétition : Avec douceur et humanité, Nicolas Philibert met en lumière les patients du centre psychiatrique de jour de l’Adamant

En 1995, Nicolas Philibert (Être et avoir, 2002) installait sa caméra à la clinique psychiatrique de La Borde, dans le Loir-et-Cher, à l’occasion des répétitions de la pièce de théâtre que proposent chaque année les patients et les soignants de l’établissement, capturant au passage les moments de la vie quotidienne du lieu. Ce documentaire intitulé La Moindre des choses, présenté au festival de Locarno 1996, sorti en 1997, reste à ce jour un film de référence sur le monde psychiatrique. Avec Sur l’Adamant, première partie d’un triptyque sur le monde psychiatrique, le documentariste revient dans cet univers, dans un cadre unique en son genre : un hôpital de jour installé sur un bâtiment flottant, au bord de Seine, en plein cœur de Paris.

Sur l’Adamant de Nicolas Philibert
© TS Production / Longride

Le film s’ouvre sur un patient qui chante, in extenso, La Bombe humaine du groupe Téléphone.

Je veux vous parler de l’arme de demain
Enfantée du monde, elle en sera la fin
Je veux vous parler de moi, de vous.

Je vois à l’intérieur des images, des couleurs
Qui ne sont pas à moi qui parfois me font peur
Sensations qui peuvent me rendre fou.
(…)

Quelle entrée en matière ! Se référant au psychiatre catalan François Tosquelles, Nicolas Philibert et Linda de Zitter, psychologue clinicienne, co-fondatrice du lieu, expliquent que la folie est une partie intégrante de l’humanité. Citant Tosquelles :

« Celui qui a raté sa folie se retrouve en hôpital psychiatrique, celui a réussi sa folie se trouve dans la société ».

Il s’agit donc, pour Linda de Zitter, d’offrir un cadre humain, hospitalier dans le sens accueillant, une structure de rencontres et d’échanges. Nicolas Philibert capture merveilleusement cet espace qui résiste au délabrement du système hospitalier en général, accentué dans le milieu de la psychiatrie déshumanisé car, dit-il, « il n’y a pas d’intérêts à prendre soin d’eux, ils ne sont pas/plus productifs et ne le redeviendront pas ».

La folie fait peur. Un des patients dit : « les gens nous regardent bizarrement, peut-être parce qu’on a des têtes cassées ! » Il est vrai que certain∙es sont marqué∙es physiquement et que leurs corps reflètent leurs états psychiques. D’autres cependant ne manifestent pas de signes extérieurs de troubles, il faut quelques instants pour se rendre compte qu’ils et elles sont patient∙es. C’est que sur l’Adamant, les patient∙es et soignant∙es inventent ensemble le quotidien, à travers des ateliers, des activités communes, des réunions, des rencontres autour d’un café. Tout le monde est impliqué, des docteur∙es aux travailleur.euses social, des patient∙es aux personnels d’entretien, il s’agit, comme nous le confie si joliment Linda de Zitter, « d’être co-auteur de son soin ». « Le banal métier de vivre est un travail quotidien », poursuit-elle. « Ce qui pour nous est normal, pour ces personnes, simplement débuter une journée peut les faire vaciller. Les médicaments et la parole ne sont pas suffisants, il faut leur offrir des espaces où ils peuvent s’appuyer, se remettre en mouvement, circuler, reprendre leur souffle, sans trop d’injonctions et d’explications. »

Sur l’Adamant de Nicolas Philibert
© TS Production / Longride

Nicolas Philibert tient lui-même la caméra, souvent, il était seul avec les patient∙es, permettant de créer un espace de confiance et ne pas être trop intrusif ; dans les moments où il avait besoin de son équipe technique, elle composait d’au maximum quatre personnes. Cette relation que le cinéaste a établie avec les occupant∙es de l’Adamant est remarquable, sa caméra, dans une présence affirmée, devient un protagoniste à part entière à laquelle les patient∙es s’adressent parfois directement, alors qu’à d’autres moments, elle redevient le témoin des interactions et actions qui se déroulent sur le bateau. La méthode de Philibert est celle du curieux qui se met dans une posture de novice. « La caméra m’aide à aller à la rencontre des autres, c’est pour moi l’occasion d’essayer de comprendre dans quel monde on vit. À travers les autres, j’apprends à aller à ma propre rencontre également. Je ne suis pas là pour instruire les autres, mais pour apprendre des autres », nous confie-t-il. Et parfois, les rencontres sont extraordinaires, comme cet homme à la culture cinématographique, littéraire, musicale inouïe, capable de raconter plans par plans des films, tout en expliquant que Wim Wenders s’est inspiré de lui pour créer son personnage de Paris, Texas, « mais ce voyou de Wim Wenders n’a jamais rien dit ». Les personnages haut en couleurs sont naturellement attachants, mais les plus réservé∙es également, comme ce jeune homme qui porte un aimant pour bloquer les ondes qui l’assaillent ou cette ancienne danseuse qui bouscule l’institution en se plaignant de ne pas être écoutée ni entendue dans sa proposition de diriger un atelier sur le corps et le mouvement.
Ce qui frappe, c’est la lucidité des patient∙es quand ils ne sont pas en crise – ce que Nicolas Philibert, intentionnellement, ne montre jamais –, lucidité vis-à-vis d’eux-mêmes, de leur fragilité, de l’institution, de la société en général – même si elle est mâtinée des aspérités de leurs troubles, une grande poésie s’en dégage.

Savoir que l’Adamant se réveille chaque matin, en ouvrant ses volets en bois, telles des ailes qui se déploient, redonne l’espoir que ici ou là, les plus fragiles d’entre nous ne sont pas abandonné∙es et rejeté∙es au ban de la société, qu’il est possible d’envisager de créer des conditions d’inclusion, de partage et d’écoute. Nicolas Philibert nous a confié qu’il y a 25 ans, il avait, lui aussi, eu peur d’explorer cet univers, en retour, nous lui avons confié, que comme le disait celui qui avait chanté La Bombe humaine, la folie et les fous font peur à une majorité de gens, nous y compris. « Ils et elles sont souvent regardé∙es par le prisme de la dangerosité, souvent fantasmée d’ailleurs. J’ai voulu renverser les perspectives ». On sait gré à Nicolas Philibert d’avoir donné une voix à celles et ceux qui parfois en entendent trop, et de nous avoir permis de monter à bord.

Nicolas Philibert ; avec les patient∙es et l’équipe soignante du centre de jour Adamant ; France, Japon ; 2022 ; 109 minutes.

Malik Berkati, Berlin

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Malik Berkati

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