Berlinale 2025 – Un Ours d’or à l’image de la compétition : passable mais oubliable. Drømmer (Dreams) de Dag Johan Haugerud
La 75e édition du Festival international du film de Berlin, l’un des trois plus importants festivals de cinéma aux côtés de Cannes et de Venise, célébrait cette année ses trois quarts de siècle, ainsi que l’arrivée d’une nouvelle équipe administrative et artistique, dirigée par Tricia Tuttle.
© Dirk Michael Deckbar/Berlinale 2025
Certes, la reprise du festival n’a pas été une sinécure. Depuis le départ de Dieter Kosslick en 2019 et l’arrivée du binôme Carlo Chatrian et Mariette Rissenbeek (2020-2024) – il est vrai peu aidé par les années de pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine –, les stars ont déserté la Potsdamer Platz et son tapis rouge, reléguant la Berlinale à une étrange combinaison entre un festival de films exigeants dans un écrin de luxe. L’année dernière a enfoncé le clou avec les prises de position de cinéastes sur les crimes en cours au Proche-Orient, qui ont suscité un scandale dans le landerneau politico-médiatique allemand.
Résultat : la nouvelle directrice, soucieuse d’obtenir les subventions nécessaires au maintien du festival à son niveau international, semble s’être donné pour mission d’éviter toute polémique dans un contexte pourtant hautement politique, tant au niveau international que national, alors que les élections législatives anticipées, où le parti d’extrême droite allemand AfD arrive en seconde position, se tiennent le dernier jour de la Berlinale.
En conséquence, la sélection en compétition, hétérogène et peu cohérente, mêlait des genres si extrêmes que toute comparaison entre les productions devenait impossible. Elle nous a offert quelques mauvais films, quelques bons films, aucun ne s’imposant avec fracas, et une majorité de films bien réalisés, bien joués, assez bien écrits… mais que l’on oublie rapidement après les avoir vus.
Dans cette compétition un peu molle, il était peu probable qu’un film complètement déjanté, disruptif, rafraîchissant, hyper esthétique et énergique, rendant hommage à la culture populaire et au cinéma d’espionnage des années soixante et septante, comme Reflet dans un diamant mort de Hélène Cattet et Bruno Forzani, ou qu’un film d’une humanité et d’une poésie affleurant à chaque image/seconde, comme El mensaje (The Message) de l’Argentin Iván Fund, ne triomphe. Ce dernier a néanmoins obtenu une place modeste dans la hiérarchie des Ours, remportant l’Ours d’Argent – Prix du Jury.
On peut toutefois s’estimer heureux·ses d’avoir évité le pire dans ce palmarès, notamment avec l’autre Dreams de la compétition, celui de Michel Franco, mettant en vedette Jessica Chastain, à la fois muse et pygmalionne du réalisateur mexicain. Un film indigent, à éviter absolument si l’on ne veut pas ressortir nauséeux·se d’une séance où l’on tente de nous vendre une posture politique – celle d’un jeune Mexicain bravant la mort en traversant illégalement la frontière américaine au Texas pour retrouver à San Francisco son amante plus âgée, codirectrice d’une fondation artistique portant le nom de son riche père, et poursuivre son rêve de carrière de danseur classique – alors qu’il ne s’agit en réalité que de la mise en scène, caméra interposée, du fantasme sexuel d’un réalisateur pour son actrice et productrice.
L’Ours d’or a récompensé un bon petit film, appartenant à un genre très prisé du public et des cinéastes, si l’on en juge par le nombre croissant de productions qui s’en réclament ces dernières années : le film d’apprentissage, ou coming-of-age. Il s’agit de Drømmer (Dreams), troisième volet de la trilogie d’Oslo – après Sex, présenté à la Berlinale 2024, et Love, dévoilé à la Mostra de Venise 2024 – du cinéaste norvégien Dag Johan Haugerud. À son actif, une distribution remarquable d’actrices incarnant avec justesse les contradictions et les évolutions de leurs personnages.
Johanne (Ella Øverbye), collégienne de 17 ans à Oslo, est insatisfaite de sa vie. Elle attend quelque chose qui ne vient pas. Elle vit avec sa mère célibataire, Kristin (Ane Dahl Torp), et passe ses vacances dans la hutte de sa grand-mère, Karin (Anne Marit Jacobsen), une poétesse dont elle est très proche. C’est dans cette hutte qu’elle découvre un livre qui éveille en elle des sensations inédites, l’absorbant entièrement. À la rentrée, son monde chancèle avec l’arrivée d’une nouvelle professeure, Johanna (Selome Emnetu), dynamique, charismatique et troublante. Johanne se met à rêver et développe une attirance qui se mue en obsession. Elle tombe profondément amoureuse de Johanna, une passion qui la tourmente, incapable de trouver un moyen de l’approcher et d’entrer dans son cercle de proches.
Un jour, bouleversée, Johanne se rend chez sa professeure, frappe à sa porte en larmes. Johanna ouvre, la prend dans ses bras pour la consoler, puis l’invite à entrer. À partir de cet instant, une ambiguïté s’installe, donnant le ton au reste de l’histoire, jalonnée de rencontres autour de séances de tricot. Johanne raconte cette relation à travers un livre qu’elle écrit, affirmant vouloir en fixer la mémoire pour toujours. Mais tout bascule lorsqu’elle décide de le faire lire à sa grand-mère.
© Motlys
Ce film, très bavard, trop long et lent dans sa progression, à faible intensité, reste néanmoins un bon petit film, porté par un humour caustique et des situations comiques involontaires. À travers les revirements et contradictions des personnages gravitant autour de Johanne, chacun∙e se retrouve confronté∙e à ses propres rêves et échecs. Agréable à regarder grâce à la légère confusion qu’il instille, Drømmer s’efface toutefois assez rapidement des mémoires…
De Dag Johan Haugerud; avec Ella Øverbye, Selome Emnetu, Ane Dahl Torp, Anne Marit Jacobsen, Andrine Sæther, Ingrid Giæver, Lars Jacob Holm, Nadia Bonnevie, Ella Bothner-By; Norvège; 2024; 110 minutes.
Malik Berkati, Berlin
© j:mag Tous droits réservés