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Cannes 2022 : Tirailleurs, de Mathieu Vadepied, dépeint le drame d’un père et d’un fils sénégalais expédiés au nom de la Mère Patrie dans l’enfer des tranchées pendant la Première Guerre mondiale

Ce mercredi 18 mai, le film de Mathieu Vadepied a été présenté en ouverture dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2022. En 1917, Bakary Diallo (Omar Sy), un père de famille agriculteur peul du Sénégal, s’enrôle dans l’armée française pour rejoindre Thierno, son fils de dix-sept ans, qui a été recruté de force. Aussitôt munis d’un fusil et affublés de l’uniforme de l’armée française, Bakary et Thiemo (Alassane Diong) assistent au discours d’un général français qui les invite à combattre et donner leur vie à la France qui leur rendra toute sa gratitude. Père et fils vont devoir affronter la guerre ensemble. Galvanisé par la fougue de son officier (Jonas Bloquet) qui veut le conduire au cœur de la bataille dans les Ardennes pour gagner une colline de trois-cents mètres sur la ligne de front allemande, Thierno va s’affranchir et apprendre à devenir un homme tandis que Bakary va tout faire, en économisant sa solde et essayant de trouver des voies d’issue pour sortir de l’enfer des tranchées, pour l’arracher aux combats et le ramener sain et sauf au pays. Epié par un autre tirailleur peul, Salif, (Bamar Kane), qui survit par le biais de combines, Bakary accepte de lui donner ses économies afin que son fils et lui puissent quitter la division de l’officier Chambreau sur un envoi de cadavres de tirailleurs pour gagner le Havre où les attend un bateau pour le Sénégal.

— Omar Sy et Alassane Diong – Tirailleurs
Marie-Clémence David © 2022 – UNITÉ – KOROKORO – GAUMONT – FRANCE 3 CINÉMA – MILLE SOLEILS – SYPOSSIBLE AFRICA

La colline tenue par les Allemands sera l’enjeu du jeune officier, prêt à tout pour gagner des galons et la reconnaissance de son général de père. Tirailleurs souligne l’absurdité de certaines décisions militaires livrant les tirailleurs à des affrontements sanglants à l’issue fatale pour la majorité des tirailleurs enrôlés de force. Le film de Mathieu Vadepied montre l’aberration des situations, les décisions arbitraires d’un lieutenant prêt à sacrifier des milliers d’hommes en chair à canons pour glaner quelques titres de gloire. Mais Tirailleurs montre surtout que même unis par leur malheureux sort, les tirailleurs, issus d’ethnies et de cultures différentes, ne s’entendaient pas forcément. Les rivalités dominaient les relations et la solidarité étaient difficile à obtenir, moyennant quelques liasses de billets. Comme des centaines de milliers d’Africains, le jeune Thierno a été capturé pour servir aux côtés des Français dans une guerre qu’ils ne comprennent pas et qui ne les concernent pas.

On se souvient du film de Rachid Bouchareb, Indigènes (2006), qui traitaient des soldats maghrébins enrôlés dans l’arme française durant la Seconde Guerre mondiale, Mathieu Vadepied filme, caméra à l’épaule, les vies volées et jetés dans les affres du front franco-allemand dans l’Est de la France. Le film Tirailleurs rappelle le destin brisé, voire broyé de ces soldats « français » bien malgré eux et souvent à titre posthume, ces hommes arrachés à leur terre natale pour combattre en première ligne, dans une région froide et inconnue, sous l’uniforme français et dont la solde, souvent versé des années après la guerre, n’a jamais égalé le montant de la solde des soldats français. Le film dénonce cette injustice qui a été enfin révélé dans des articles et des journaux ces dernières décennies. Apparu très décontracté lors de la montée de marches, Omar Sy a souligné combien il tenait à produire ce film :

Je tenais à faire un film engagé et plus difficile car l’histoire des tirailleurs m’a bouleversé. On entend parler des tirailleurs sénégalais mais cela reste sommaire dans les cours d’histoire et les quelques livres consacrés à ce sujet. Quand on s’y intéresse, on se rend qu’il y a beaucoup d’histoires personnelles, beaucoup de destins. On n’a pas la même mémoire mais on a la même histoire. Le film est parlé en peul, la langue que parlée à la maison entre mon père sénégalais et ma mère mauritanienne. Ce film représente tout ce que je suis, entre l’historie de ces peuples condamnés à devenir tirailleurs et la France.

Il y a l’aberration de cette guerre, l’horreur des combats, la nostalgie du pays, la maladie, la souffrance, mais Mathieu Vadepied place au cœur de son histoire la relation tourmentée d’un père et son fils, relation à la fois tendre, aimante mais en proie aux divergences une fois le fils endoctriné. Le film de Mathieu Vadepied a le mérite de ne porter que le nom de « tirailleurs ». Pendant des décennies, les reportages comme les articles de journaux et les manuels d’histoire parlaient, à tort, de « tirailleurs sénégalais », en occultant par cette appellation erronée tous les soldats des colonies françaises enrôlés de force pour aller combattre en Europe. Ces fameux tirailleurs venaient de toute l’Afrique – Maroc, Algérie, Tunisie, Mauritanie, Tchad, Sénégal, Guinée, Togo, Bénin, Niger, Cameroun, Côte d’Ivoire, Madagascar, mais aussi des colonies asiatiques de l’Indochine, aujourd’hui le Laos, le Cambodge et le Viêt Nam. C’est au moment des indépendances que ce corps militaire a été dissout en 1960. Montés au front aux côtés des poilus de l’Hexagone, 30 000 sont morts sur les champs de bataille de la Grande Guerre sur les 200 000 ayant combattu mais, comme le mentionne le dossier de presse du film :

« Les chiffres varient selon les sources et rares sont les livres, et encore moins les films, qui retracent leur histoire ».

La star de la série Lupin a produit ce long-métrage et, y jouant, montre qu’il peut quitter le registre comique dans lequel il excelle pour livrer une remarquable interprétation dans le registre dramatique. Quant à Mathieu Vadepied, il est connu pour la fable sociale La Vie en grand et la moitié des épisodes de la très émouvante série En thérapie.

Omar Sy a souligné :

« Tirailleurs met en lumière l’histoire des tirailleurs sénégalais, héros oubliés de la Première Guerre mondiale et je suis fier et honoré d’enfin partager ce film, cette histoire, au sein de ce festival ».

La sélection Un certain regard présente dix-neuf films dont, pour la première fois à Cannes, un long métrage pakistanais, « arrivé assez tard en sélection mais une évidence », selon Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes.

Firouz E. Pillet, Cannes

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Firouz Pillet

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