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Cannes 2023 : Club Zero, drame de Jessica Hausner, en compétition, propose une observation audacieuse et dérangeante de notre société et de ses dérives

Après Little Joe, aussi présenté en compétition en 2019 à Cannes et qui avait permis à la comédienne Emily Beecham d’obtenir le Prix d’interprétation féminine, la réalisatrice autrichienne Jessica Hausner prouve une nouvelle fois son talent à mettre en image l’emprise, qu’elle soit d’origine végétale comme dans Little Joe ou d’origine humaine comme dans Club Zero.

Club Zero de Jessica Hausner
Image courtoisie Festival de Cannes

Ce drame audacieux soulève des questions très actuelles qui dérangent. Club Zero suit l’histoire de Miss Novak (magistralement interprétée par Mia Wasikowska), enseignante peu à peu inquiétante, mais à l’apparence si fragile. Miss Novak est engagée dans une école privée huppée pour initier les élèves à l’alimentation en conscience, au nom de la protection de l’environnement. Cette pratique bouleverse les habitudes alimentaires dans ce lycée privé.

Jessica Hausner filme des lycéens qui, sous l’emprise d’une enseignante, décident de modifier radicalement leur alimentation en la diminuant progressivement puis en la supprimant. La méthode Novak provoque une véritable révolution des habitudes alimentaires au sein de l’établissement et enthousiasme quelques élèves qui s’apparentent rapidement à des disciples. Même la directrice de l’établissement, Ms Dorset (Sidse Babett Knudsen), emboîte le pas à ces élèves avec un certain engouement.

Au fil du temps, Miss Novak exerce une influence sur certains élèves, qui intègrent alors le bien mystérieux Club Zéro, un cercle très fermé et discret. Les parents des élèves concernés sont, dans un premier temps, conquis et enchantés de la métamorphose de leurs enfants. D’ailleurs, c’est un des pères de famille qui a soumis le profil professionnel de Miss Novak afin qu’elle soit engagée par la directrice. Les parents d’Elsa (Ksenia Devriendt), de Ragna (Florence Baker), de Ben de Fred (Luke Barker) – un jeune diabétique qui ira jusqu’à arrêter ses injections d’insuline, persuadé par Miss Novak que l’alimentation consciente va guérir son corps – sont pleinement confiants dans cette enseignante aux méthodes si novatrices.

Seul l’enseignant de danse classique, Mr dahl (Amir El-Masry) s’inquiète de ce virement radical et en informe la directrice qui reste convaincue du bienfait de cette méthode jusqu’à ce que Mr Dahl lui révèle avoir vu Fred et Miss Novak à l’opéra.

Miss Novak et ses élèves évoluent dans des décors parfaitement ordonnés, épurés et aseptisés qui semblent communiquer une certaine vacuité, un espace dédié à la récitation de mantras et à la méditation. Si la plupart des parents de ces élèves disciples sont de riches propriétaires, la mère de Ben est de milieu modeste et a cerné que son fils suit cette stricte discipline pour obtenir une bourse d’études. Clairvoyante, elle comprend très vite qu’il n’est pas normal que son fils, qui apprécié tant sa cuisine, la délaisse. Elle avertit les autres parents du danger.

Club Zero est un véritable objet cinématographique dans lequel Jessica Hausner développe une mise en garde quant aux dérives sectaires et aux désordres alimentaires, mais les thématiques qu’elle aborde dans ce long métrage en lice pour la Palme d’or dérangent, perturbent et interrogent sur des questions bien réelles qui préoccupent désormais toute la planète comme le réchauffement climatique, la surconsommation, la destruction de l’environnement ou sa nécessaire protection, l’éco-anxiété.

— Mia Wasikowska – Club Zero
Image courtoisie Festival de Cannes

Les tables à manger, lieu de l’exercice de l’alimentation consciente enseignée par Miss Novak, deviennent prépondérantes. L’aspect appétissant des mets, que l’on y retrouve, contraste avec la façon dont les nouveaux adeptes de la méthode les accueillent, à savoir le plus souvent avec indifférence ou dégoût. Les contrastes se retrouvent aussi au niveau verbal : par exemple, les dialogues déclenchent l’hilarité générale pour aussitôt immerger le public dans la spirale vertigineuse du drame auquel il assiste, partageant l’inquiétante croissante des parents. La bande-son – signée Markus Binder – mêle coups de gong et percussions indiennes – et la palette chatoyante de couleurs – le vert et le rouge dominent – contraste cruellement avec le drame qui se joue sous nos yeux.

L’audace de Jessica Hausner est admirable mais, comme à l’accoutumée, la cinéaste autrichienne a divisé le public de la Croisette qui a soit adhéré inconditionnellement à son nouveau film, soit l’a profondément détesté.

Firouz E. Pillet, Cannes

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Firouz Pillet

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