Cannes 2023 : Kubi, de Takeshi Kitano, présenté à Cannes Première, plonge le public dans une épopée guerrière de samouraïs retors et queer
Inspiré de l’adaptation de l’ouvrage éponyme que Takeshi Kitano a signé en 2019, Kubi conte les aventures d’un seigneur de guerre pervers et de ses officiers tout aussi captieux.
Projeté dans la Salle Debussy qui était comble ce jeudi soir, Kubi a été longuement présenté par Thierry Frémaux qui a fait monter sur scène Takeshi Kitano et tous ses acteurs sur scène qui ont eu droit à une très longue standing ovation. Le délégué général a souligné que la sélection de Kubi dans la catégorie Cannes Première témoignait de « la reconnaissance du travail de Takeshi Kitano, qui est à la fois réalisateur, scénariste et auteur du roman original ». Les organisateurs tenaient à mettre en avant la dimension caméléon de ce cinéaste qui multiplie les casquettes comme acteur, animateur de télévision, humoriste, artiste, peintre et écrivain.
Avec Kubi, qui a été projeté entre Asteroid City et Rapito, le dépaysement était assuré. Immergeant le public au cœur du XVIème siècle de l’archipel alors que le Japon est tourmenté par les conflits qui opposent des gouverneurs de province rivaux, la caméra de Takeshi Kitano livre un pan de l’histoire nipponne qui se déroule autour de l’assassinat du célèbre seigneur de guerre Oda Nobunaga (Ryō Kase) dans un temple de Kyoto. L’intrigue du film tourne autour du sort de Murashige, dont Nobunaga souhaite se venger en lui brisant le cou.
Parmi les seigneurs qui guerroient, ce seigneur Oda Nobunaga, déterminé à prendre la tête du pays, est en guerre contre plusieurs clans lorsque l’un de ses généraux, Araki Murashige, intente une rébellion avant de disparaître. Nobunaga réunit alors ses autres vassaux, dont Akechi Mitsuhide (Hidetoshi Nishijima) et Hideyoshi Hashiba (Beat Takeshi), et leur ordonne de capturer le fugitif Araki Murashige (Ken’ichi Endō), en leur promettant que « celui qui trime le plus deviendra son successeur ». Peut-être Mori Masayuki (Ken Matanabe) ?
Bien qu’ils ne partagent pas les mêmes opinions ni ne recourent aux mêmes stratagèmes, tous se retrouvent bientôt à la croisée des chemins, dont celui qui mène au temple Honno-ji où ils ont rendez-vous avec leur destin.
Avant cet événement tragique, Shinzaemon (Yoshiyoshi Arakawa), personnage principal du film, capture Araki Murashige, un général accusé de déloyauté envers Nobunaga. Reste à savoir de quel côté leur tête va tomber. Vous êtes perdus ? Le public de la salle Debussy l’était aussi, sauf les quelques inconditionnels qui avaient lu son autobiographie, récolte de ses confidences durant cinq ans par le journaliste français Michel Temman qui vit au Japon et qui attendaient, à l’issue de la projection, de faire dédicacer leur exemplaire. Pour les autres, il était très ardu de suivre ce récit.
On connaît Takeshi Kitano pour ses polars noirs et il nous avait déjà entraînés dans la culture des samouraïs, comme il y a vingt ans, aux côtés du masseur-bretteur aveugle Zatōichi qu’il interprétait de manière béotienne et iconoclaste. On le sait et c’est notoire chez Takeshi Kitano : l’outrance, majoritairement sanglante, est coutumière dans son œuvre et Kubi ne faillit pas à la règle.
Dans cette fresque épique au cœur de l’univers des samouraïs, les valeurs les plus connues sont la loyauté et la fidélité envers le chef, le courage physique (on songe au hara-kiri dont dont Kitano nous présente une très longue scène sur une barque, mais on comprend que le brave homme tarde à se perforer l’abdomen en y tournant le sabre à plusieurs reprises !), une certaine frugalité et une complète abnégation. D’ailleurs, dans Kubi, l’abnégation est vraiment totale puisque les apprentis samouraïs et les vassaux se soumettent aux velléités sexuelles du maître. En effet, dans Kubi, les samouraïs sont homosexuels, une notion méconnue par les Occidentaux, mais qui semble faire partie de la tradition puisque les samouraïs s’adonnèrent durant des siècles au Wakashudô, la «Voie des ephèbes», une relation homosexuelle entre soldats et généraux.
Si ce film historique et d’action (beaucoup d’action !) s’inspire de l’incident réel de Honnō-ji, qui a marqué l’histoire du Japon en 1592, le récit que nous en livre Takeshi Kitano est souvent confus et perd, par moments, l’attention du public, mais tient la longueur grâce à son comique morbide et à son ironie. Parmi cette galerie de vils personnages, tous plus fourbes les uns que les autres, les généraux qui entourent le tyran ne valent guère mieux que les vassaux qui les servent, tous mus par l’appât du gain et obnubilés par l’accès au pouvoir. Takeshi Kitano a eu la malice de se réserver le rôle le moins exécrable en incarnant le plus vigoureux et le plus robuste des chefs samouraïs qui est surtout le plus rusé.
Durant toute la projection, le public observe cette surenchère de scènes barbares et meurtrières qui confirme que Takeshi Kitano fait non seulement dans le film policier noir et le film de samouraïs mais aussi dans le film gore. La profusion de personnages, la mise en scène qui cumule les revirements et les rebondissements donnent bien du fil à retordre à qui veut suivre sans perdre une minute de ce spectacle qui frise parfois le grotesque. On en perd son latin et on peine à suivre toutes ces campagnes militaires.
À la fin de la séance, longuement applaudi, Takeshi Kitano a dit qu’il « reviendrait à Cannes avec un meilleur film ».
Il ne fait en tous les cas nul doute que le cinéaste nippon souhaite s’inscrire dans la lignée des classiques des fresques épiques nippones telles celles du grand maître Akira Kurosawa comme Les Sept Samouraïs.
Firouz E. Pillet, Cannes
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