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Cannes 2024 : présenté à la Semaine de la Critique, Simon de la montaña, le premier film de l’Argentin Federico Luis, entraîne le public dans la cordillère des Andes aux côtés d’adolescents handicapés

Simon a vingt-et-un ans. Lors d’un entretien, il se présente comme aide-déménageur. Il dit ne pas savoir cuisiner ni nettoyer une salle de bains, mais en revanche, il sait faire un lit. Depuis quelque temps, il semble devenir quelqu’un d’autre…

— Simon de la montaña de Federico Luis
Image courtoisie Semaine de la Critique

Pour incarner Simon, le cinéaste a sollicité Lorenzo « Toto » Ferro un acteur, chanteur et auteur-compositeur argentin. Il a été reconnu pour avoir joué Robledo Puch dans le film El ángel (2018), le biopic qui suit les crimes de Carlos Robledo Puch. Ses rôles à la télévision incluent Cristian Pardo dans la troisième saison d’El marginal et Alex Hodoyan dans la troisième saison de Narcos. Lorenzo Ferro revient au cinéma incarnant le principal protagoniste de Simon de la montaña (Simon de la onmtagne) qui fait partie de la programmation de la 63ème édition de la Semaine de la Critique cannoise, section qui a sélectionné sept films parmi les premières et deuxièmes productions de cinéastes du monde entier. Le cinéaste argentin était déjà venu à Cannes en 2023 en tant que réalisateur de son court métrage La siesta qui avait, par la suite, remporté de prestigieux prix dans différents festivals, dont le prix du Meilleur court métrage au Festival International de Buenos Aires.

Dévoilé en avant-première mondiale, Simón de la montaña que l’on découvre dans la première séquence en train de gravir le flanc d’une montagne dans les brumes, aux côtés d’un groupe de jeunes handicapés. Le public est plongé dans une atmosphère onirique, partageant un rêve éveillé dans le paysage rocailleux de la cordillère des Andes. Accompagnant un groupe d’adolescents qui crapahutent et grimpent sur un mausolée pour y chercher du signal wifi, les corps luttent, le vent violent siffle, les visages halètent. Au fil de cette ascension périlleuse se dessine en filigrane la difficulté de trouver sa place dans une société prompte à juger.

La nouvelle vague du cinéma argentin regorge de jeunes talents qui méritent toute notre attention et parmi ceux-ci, le style singulier de Federico Luis émerge de la scène cinématographique argentine. Dans son premier long métrage, le public coutumier de Lorenzo Ferro le voit se débarrasser de ses boucles emblématiques et échanger les qualités angéliques, mais sinistres de son rôle précédent dans El Angel (2018) de Luis Ortega pour un personnage inhabituel, insolite, tout en retenue émotionnelle mais pour autant très expressif. L’évolution de ce personnage se fait par touches délicates, subtiles, presque imperceptibles à mesure qu’il côtoie ce groupe d’adolescents handicapés.

De prime abord simple, Simon de la montaña brosse progressivement un portrait qui se révèle beaucoup plus complexe et complet fil des séquences. Se laissant aller peu à peu à une nouvelle identité, le personnage de Simon reflète les handicaps dans de multiples situations de la vie quotidienne – la piscine et ses douches, une pièce de théâtre, une ballade, entre autres – et souligne la soif de vivre, comme tout un chacun la vie pleinement, en particulier l’éveil des sens et de la sexualité. Nouant une véritable amitié avec Pehuen (Pehuen Pedie), Simon est impliqué, comme garde-fou, alors que son ami et l’une des jeunes filles se retrouvent dans une douche pour un moment d’intimité. Mais il n’y a ni voyeurisme ni exhibitionnisme chez Federico Luis qui souhaite uniquement nous montrer la normalité, là où habituellement, la société catalogue, juge et stigmatise. Sachant magnifier ses comédiens, le réalisateur souligne comment il les choisit  :

« Le choix des acteurs est un processus d’affectation mutuelle : je choisis les acteurs et les acteurs me choisissent. C’est similaire à la façon dont je choisis les gens dans la vraie vie : à cause de l’excitation que cela me procure que cette personne soit dans ma vie. Je n’ai regardé aucun acteur en pensant uniquement à ses qualités techniques pour jouer. Dans le cas de Lorenzo, je pense qu’il s’est transformé en Simón presque sans qu’on s’en rende compte. Au départ, je l’avais pensé pour un autre personnage. Pendant ce temps, nous avons tellement partagé qu’à un moment donné, j’ai commencé à avoir l’impression qu’il était la seule personne à détenir toutes les informations pour être Simon. Il avait vécu de nombreuses expériences avec moi, il était le seul à comprendre autant ou plus que moi les différentes dimensions de Simón. J’allais me charger de créer le film derrière la caméra, cela me paraissait logique qu’il puisse se charger de le créer depuis l’autre côté. »

Le handicap est généralement abordé avec une tendance, pas forcément consciente, au jugement, ou alors avec la bienveillance du politiquement correct ou parfois avec un esprit didactique. Cependant, Simón de la Montaña échappe à tous ces lieux communs et offre une approche teintée de sensibilité, mais aussi de curiosité, imprégnée d’un esprit ludique.

Dans une succession de rituels typiques des récits initiatiques, le film est tourné sans préjugés et certains des jeunes profitent avec intelligence de la culpabilité des autres pour obtenir un privilège comme par exemple quand Simon et Pehuén tentent d’obtenir une place gratuite au cinéma pour « accompagnant », allant jusqu’à culpabiliser le guichetier qui refuse de la leur accorder. Ce constant jeu de prises de conscience évolue avec fluidité et fraîcheur, présentant diverses situations, un naturel rare et convaincant. La performance de Federico Luis est remarquable, mais plus réussie encore est l’incroyable connexion qu’il établit avec la distribution dans une poétique interaction entre ces enfants. Lorenzo Ferro, le seul acteur professionnel de ce groupe de jeunes, est extraordinaire dans chaque scène, là où les autres adultes sont beaucoup plus conventionnelles.

Firouz E. Pillet, Cannes

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Firouz Pillet

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