Cannes 2024 : Vingt Dieux, de Louise Courvoisier, dans Un certain Regard, livre un récit « coming of age » avec des touches de documentaire
Puisant dans l’univers qui a bercé son enfance, tournant en Auvergne-Rhône-Alpes dans le nord de l’Ain, à Pont-d’Ain, Saint-Nizier-le-Désert et Simandre-sur-Suran, la jeune cinéaste jurassienne signe un premier film en forme chronique du milieu agricole.
Louise Courvoisier n’est pas tout à fait une novice à Cannes : en 2019, elle a remporté le premier prix de la Cinéfondation avec son court-métrage Mano à Mano. Avec Vingt Dieux, son premier long-métrage, elle entre dans la cour des grands.
C’est au cœur du Jura, dans un univers de vaches laitières, de fêtes agricoles et de fabrication du comté AOC, mais surtout dans le sillage d’une jeunesse locale en perte de repères qui passe son temps entre beuveries et la recherche d’une fille pour la nuit que la réalisatrice trentenaire a choisi de planter sa caméra.
Pour incarner ses adolescents, et en particulier son protagoniste, la cinéaste a sollicité deux comédiens non professionnels qui se révèlent crédibles et fabuleux. Le récit suit Totone, dix-huit ans, qui passe le plus clair de son temps à boire des bières et à écumer les bals du Jura avec sa bande de potes. Les nuits d’ivresse s’enchaînent et quand Totone se réveille, il ne se souvient pas du prénom de la fille avec laquelle il a couché. Mais la réalité le rattrape : l’insouciance avec ses potes d’enfance Jean-Yves (Mathis Bernard) et Francis (Dimitri Baudry) s’achève brutalement à la mort accidentelle de son père. Il doit s’occuper de sa petite sœur de sept ans et trouver un moyen de gagner sa vie. Il se met alors en tête de fabriquer le meilleur comté de la région, celui avec lequel il remporterait la médaille d’or du concours agricole et 30 000 euros. Pour l’impulsif Anthony (la révélation du film, Clément Favreau) désormais responsable de sa petite sœur Claire (Luna Garret), complètement désargenté et sans recours familial possible, se voit acculé et contraint de vendre le matériel de la petite fabrique de fromage de son père. C’est quand il décide de se lancer clandestinement, avec l’aide de ses deux amis et le soutien de sa petite sœur qui se révélera très futée et de bon conseil, qu’il prend peu à peu conscience qu’il ignore toutes les subtilités de ce métier et que cela ne s’improvise pas.
Dans cette aventure, ce que Totone sait néanmoins, c’est qu’il faut du lait, et cela tombe bien car la qualité fruitée de celui de la jeune fermière Marie-Lise (Maiwene Barthelemy) qui lui fait des avances osées, est reconnue dans toute la région. Ne pouvant l’acheter, il va profiter des tournées qu’il effectue dans les fermes de la région pour récupérer les boilles de lait pour se servir au passage.
Louise Courvoisier souhaitait quitter ses vertes prairies pour partir découvrir d’autres mondes comme elle le précise :
« Je ne connaissais personne : je viens de la campagne profonde. C’est un peu un hasard : j’ai grandi dans le Jura, dans un petit village et j’avais envie de partir le plus loin possible. Et maintenant, j’ai envie de revenir. Pour aller à l’internat, j’ai choisi un lycée avec option cinéma. Puis j’ai intégré la Cinéfabrique à Lyon. »
Mais sa campagne a fini par lui manquer. Elle a choisi cet univers champêtre et rupestre pour son décor, un univers dont elle maîtrisait parfaitement tous les codes. La réalisatrice a sollicité sa famille pour réaliser ce premier film qui a été tourné avec des acteurs non-professionnels et des proches. Elle mentionne que tous les membres de sa famille ont mis la main à la pâte :
« Ma sœur est chef décoratrice, mon frère chef constructeur, ma mère et mon autre frère ont composé la musique, qu’ils ont jouée avec mon père qui est aussi musicien. »
Dans le sillon de Petit paysan de Hubert Charuel (2017) et de Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand (2023), Vingt Dieux aborde avec justesse et intelligence des thématiques humaines, sociologiques et sociales. Le film dépeint avec véracité la vie paysanne en traitant avec précision tous les éléments qui font le quotidien des paysans ou les employés d’une laiterie où Totone est engagé pour nettoyer les cuves.
Le scénario, écrit par la réalisatrice avec Théo Abadie, approfondit les sujets de la jeunesse et de la culture des territoires agricoles, de la rudesse de l’emploi. Ainsi, à Totone qui se plaint, la jeune fermière Marie-Lise rétorque : « Je me lève à 5h, je finis à 22h, j’ai pas de week-ends, pas de vacances et je ne passe pas mes week-ends à me bourrer la gueule. » Mais, dans le contexte du territoire du Comté et de sa production, il est aussi question de transmission d’un patrimoine fromager, de la famille, de l’amitié et de l’amour.
À quelques minutes de la projection dans la salle Debussy, salle dédiée à la section Un certain regard, Thierry Frémaux, directeur du festival de Cannes, lance :
« À l’issue du film, la fabrication du fromage jurassien n’aura plus aucun secret pour vous. »
Effectivement, le premier film de Julie Courvoisier lui rend hommage en lui donnant le rôle de personnage central tout en brossant un portrait fort et sincère de la campagne et des paysans.
Voilà une cinéaste à suivre !
Firouz E. Pillet, Cannes
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