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Berlinale 2021 – Compétition : Ghasideyeh gave sefid (Ballad of a White Cow) de Behtash Sanaeeha et Maryam Moghaddam; une veuve dans une société corsetée et face à l’appareil d’État

Chaque année ou presque un film iranien se retrouve en compétition et, mis à part Mani Haghighi qui nous présentent des films débordant de vitalité créatrice, exubérants, explosant de couleurs et d’humour noir, comme en 2016 Ejhdeha Vared Mishavad! (A Dragon Arrives !) et en 2018 Khook (Pig), la facture de ces films est toujours très oppressante, à l’image de la société que ces histoires racontent. Toutefois, Mani Haghighi explique également cette impression que nous avons du cinéma iranien par le fait que ce sont ce genre de films qui sont sélectionnés car c’est ce que nous voulons voir dans nos contrées (déclaration faite en 2018 à la présentation de son film Khook). Force est de constater que Ghasideyeh gave sefid (Ballad of a White Cow), à l’instar de Sheytan vojud nadarad (There Is No Evil) de Mohammad Rasoulof qui a remporté l’Ours d’or en 2020, ne recherche pas avant tout l’excellence cinématographique mais l’efficacité messagère.

— Maryam Moghaddam, Alireza Sanifar – Ghasideyeh gave sefid (Ballad of a White Cow)
© Amin Jafari

La vie de Mina (Maryam Moghaddam) est bouleversée lorsqu’elle apprend que son mari Babak a été accusé à tort du crime pour lequel il a été exécuté. La bureaucratie s’excuse pour l’erreur judiciaire et propose une compensation financière  – le prix d’un homme adulte –, l’argent du sang pour se racheter de cette erreur. Comme souvent dans les films iraniens que nous voyons dans les festivals – pour reprendre la vision de Mani Haghighi – il s’agit d’un combat entre les individus et l’appareil d’État, le pot de terre contre le pot de fer. Par amour-propre, pour que justice soit rendue et pour le bien de sa fille sourde, Mina se lance dans ce combat et se heurte bien entendu  au système empreint de cynisme. Alors que l’argent commence à manquer, un étranger nommé Reza (Alireza Sanifar) se présente. Il prétend avoir une dette envers Babak qu’il veut maintenant régler. La première réaction de Mina est la méfiance, mais elle finit par laisser entrer Reza dans sa vie. Elle est loin de se douter qu’un secret les lie tous les deux.

Le film débute par une citation (verset 67) de la sourate Al Baqarah (La Vache) du Coran :

(Et rappelez-vous,) lorsque Moïse dit à son peuple :
« Certes Allah vous ordonne d’immoler une vache ».
Ils dirent : « Nous prends-tu en moquerie? »

puis s’ouvre, avec pour symbole graphique une vache ectoplasmique plantée au milieu de la cour de la prison, motif qui reviendra plusieurs fois ponctuer le récit, sur Mina qui se rend en prison voir son mari une dernière fois avant exécution. On retrouve la femme endeuillée une année plus tard, s’occupant seule de sa fille handicapée, avec des problèmes d’argent malgré le fait qu’elle travaille mais surtout des problèmes avec sa belle-famille, représentée dans le film par un beau-frère (Pourya Rahimisam) très insistant.

Autre thème récurrent, celui des apparences dans une société où l’individu est totalement voué au jugement du collectif, traverse le film : Mina devra faire face aux commérages, aux insinuations, aux pressions pour qu’elle se soumettent à l’ordre des choses établies, sans compter que pour les choses les plus ordinaires de la vie, comme louer un appartement, cela est presque impossible, personne ne voulant prendre « le risque » de louer à une femme seule. Cette tension permanente du quotidien qui peut être interprété de manière malveillante est tellement absurde que le spectateur craint pour elle dans chaque situation qui serait anodine pour nous ; on intègre cet état d’oppression, de surveillance, de maintien permanent des apparences, choses qui ont plus d’importance que la réelle intégrité morale et l’éthique.

Out au long du film, les gens lui conseillent, pour des raisons qui les arrangent, d’oublier, d’avancer, de (re)faire sa vie. La seule qui lui donne ce conseil de manière désintéressée et bienveillante, afin qu’elle ne finisse pas comme nombre de gens, est sa voisine :

« Tu dois trouver un moyen d’oublier. Certains prennent de la drogue, d’autres se saoulent, moi je regarde des séries turques. »

Le film est traversé par les sentiments de culpabilité et d’expiation que Behtash Sanaeeha et Maryam Moghaddam mettent en scène par petites touches avec en filigrane, une énonciation et un positionnement sur deux niveaux sociétaux: la nocuité de la peine de mort au niveau macro et, au niveau individuel, la lutte pour l’affirmation de soi.

À noter le très beau travail sur les cadres et lumières, parties prenantes essentielles de ce récit, effectué par le directeur de la photographie Amin Jafari.

De Behtash Sanaeeha et Maryam Moghaddam ; avec Maryam Moghaddam, Alireza Sanifar, Pourya Rahimisam, Avin Purraoufi, Farid Ghobadi, Lili Farhadpour ; Iran, France; 2020; 105 minutes.

Malik Berkati

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Journaliste / Journalist - Rédacteur en chef j:mag / Editor-in-Chief j:mag

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