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Cannes 2025 : présenté en compétition, La Petite Dernière, d’Hafsia Herzi, suit le cheminement difficile et douloureux d’une jeune fille maghrébine qui découvre son homosexualité

Si elle est déjà venue à plusieurs reprises sur la Croisette, l’actrice et réalisatrice française concourt pour la première fois en compétition officielle en adaptant le roman éponyme de Fatima Daas.

— Nadia Melliti – La Petite dernière
© June Film, Katu

Fatima (Nadia Melliti), dix-sept ans, est la petite dernière. Elle vit en banlieue avec ses sœurs, dans une famille joyeuse et aimante de parents émigrés venus d’Algérie. Elle commence ses journées par ses ablutions, les rituels religieux et la prière, une discipline qu’elle applique avec méticulosité et conviction dès l’aube, comme nous révèle la scène d’ouverture.

Puis, casquette vissée sur la tête, allure et démarche à la garçonne, ce qui amuse ses deux sœurs très féminines, elle se rend au lycée où elle traîne avec une bande de garçons, ses « frères », comme elle les appelle, et dont elle écoute, en souriant et en s’amusant, les fanfaronnades gaillardes et la vantardise gauloise. En classe, même si Fatima traîne avec les cancres qui sont plus préoccupés à relater leurs exploits sexuels dans le moindre détail, elle cumule les bonnes notes alors qu’elle se prépare à passer son bac. En dehors du lycée, elle aime jouer au foot, pouvant assumer tous les postes sauf celui de gardienne, et court malgré l’asthme dont elle souffre depuis la petite enfance, ce qui ne l’empêche de fumer à l’insu de sa famille.

À l’occasion d’une bagarre au lycée, le mot « lesbienne » est lâché par un lycéen étiqueté « pédé ». Fatima se met dans une colère noire et en vient aux poings. Ses « frères » prennent sa défense sans réaliser pourquoi la jeune fille est sortie à ce point de ses gongs. Cet incident sera le stimulus qui la poussera, quelques jours plus tard, à s’inscrire sur une application de rencontres pour femmes. Elle fera sa première rencontre sous le profil de Linda, Égyptienne, mais son match réalisera qu’elle n’a pas encore fait son coming out, lui prodiguant des conseils d’entrée en matière assez crue : « Ma spécialité est de bouffer des culs. Ne fais cette tête ! il n’y a rien de sale dans le sexe. T’as jamais essayé ? Même avec un mec ? Sinon, il y a bien sûr le cunni mais il faut y aller avec la langue complètement molle et lécher tout doucement. Surtout pas la langue dure sinon on se croit avec un mec ! »

Le film suit le parcours en montagnes russes de Fatima, pas à pas, prise dans le carcan d’une éducation bienveillante mais emprunte de religion. Après l’obtention de son bac, une fierté pour sa mère qui encadre le diplôme de sa fille, Fatima intègre une fac de philosophie à Paris et découvre un tout nouveau monde. Les premières rencontres s’enchaînent, les nouveaux copains de fac dont Benjamin (Louis Memmi), les premières fêtes où la cousine de Benjamin, Cassandra (Mouna Soualem), repère Fatima et la provoque pour avouer son penchant pour les filles, lui disant qu’elle aussi, « Algérienne, a eu de la peine à s’assumer mais on se sent tellement mieux une fois qu’on le fait », l’éveille à la sensualité et à la sexualité, une première histoire d’amour intense et torride avec Ji-Na (Ji-Min Park), une infirmière coréenne, une histoire qui finit mal. La jeune fille affirme son identité en se frottant au groupe, en se reconnaissant dans ses pairs.

Alors que débute sa vie de jeune femme, elle s’émancipe de sa famille et ses traditions tout en jouant un double jeu qui devient pesant et de plus en plus difficile à assumer quotidiennement. Fatima se met alors à questionner son identité. Comment concilier sa foi avec ses désirs naissants ? Après avoir défilé à la Gay Pride, elle ira questionner un imam tout en lui disant que c’est pour rendre service à une amie qui n’arrive plus à faire ses cinq prières quotidiennes depuis qu’elle a connu l’amour auprès d’une femme. L’imam lui répond que l’amour contre nature est péché, d’où le fait que le peuple de Loth ait été puni, dans l’épisode de Sodome et Gomorrhe.

Prix Les Inrockuptibles 2020, catégorie Prix du premier roman de Fatima Daas, Je suis la mazoziya, la petite dernière (2020), publié aux éditions Noir sur Blanc, relate cette transformation complexe de la chrysalide en papillon. « Française d’origine algérienne. Musulmane pratiquante. Clichoise qui passe plus de trois heures par jour dans les transports. Une touriste. Une banlieusarde qui observe les comportements parisiens. Je suis une menteuse, une pécheresse. Adolescente, je suis une élève instable. Adulte, je suis hyper-inadaptée. J’écris des histoires pour éviter de vivre la mienne. J’ai fait quatre ans de thérapie. C’est ma plus longue relation. L’amour, c’était tabou à la maison, les marques de tendresse, la sexualité aussi. Je me croyais polyamoureuse. » C’est en ces termes que se définit, dans son autofiction, l’auteure et c’est avec brio et finesse que Hafsia Herzi réussit à porter ce trajet sur grand écran.

Les premières séquences du film paraissent un peu simples pour un film dans la compétition officielle et questionnent le public qui se demande où la cinéaste va le mener. Puis, au fil du récit, la profondeur de la protagoniste, ancrée dans les contraintes de sa spécificité culturelle et ballottée dans les paradoxes liés à son cheminement, capte l’attention de l’audience pour ne plus la quitter et rester dans les esprits.

Le troisième film d’Hafsia Herzi fait le récit délicat et bouleversant d’une émancipation. On suit le cheminement palier par palier, comme en plongée, de la protagoniste qui a d’abord le souffle court et qui, progressivement, en s’avouant une réalité qu’elle ne voulait pas voir, dans un premier temps, puis en s’acceptant et en vivant de plus en plus pleinement ses propres désirs, trouve peu à peu un rythme de croisière, un souffle de vie, en assumant d’aller contre son milieu, contre les traditions, contre sa famille, contre la religion.

Il est loin le temps où le public découvrait la timide Hafsia Herzi, révélée par son rôle au cinéma dans La Graine et le Mulet (2007) d’Abdellatif Kechiche, qui lui a valu plusieurs récompenses, dont le prix Marcello-Mastroianni de la Mostra de Venise et le César du meilleur espoir féminin. Depuis, la jeune femme a enchaîné des rôles marquants et est passée derrière la caméra. En 2019, sort son premier long métrage en tant que réalisatrice, Tu mérites un amour, suivi de Bonne Mère, en 2021, qui lui a valu un Prix d’ensemble Un certain regard. En 2022, elle réalise le téléfilm La Cour.

Cette année, elle a remporté César de la meilleure actrice pour son rôle dans Borgo. D’origine tunisienne par son père et algérienne par sa mère, Hafsia Herzi est la cadette d’une famille de quatre enfants. L’actrice et réalisatrice française connaît tous les paramètres culturels qui ont façonné Fatima Daas et pouvait légitimement oser l’adaptation du roman éponyme sans commettre d’impairs.

Que ce soit à la première projection officielle comme à la projection destinée la presse, le public de Cannes a applaudi le film pendant de longues minutes, provoquant l’émotion tangible de la réalisatrice.

Firouz E. Pillet, Cannes

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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