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Mostra 2023 : présente dans la section Giornate degli Autori, Quitter la nuit de Delphine Girard, mêle trois points de vue différents pour amener le public à se faire sa propre opinion : brillant !

Produit par Lukas Dhont, le premier long métrage percutant et très bien dirigé de Delphine Girard s’articule autour d’un trio inédit et captivant : une femme qui appelle les urgences policières, un homme qui conduit la voiture dans laquelle elle se trouve et la policière qui a répondu à son appel de détresse.

Quitter la nuit de Delphine Girard
© Playtime

La séquence d’ouverture, nocturne, place directement le public sur la banquette arrière de la voiture où se trouve une jeune femme qui est au téléphone. À ses côtés, un homme conduit et semble nerveux, agressif. Sur le siège passager d’une voiture qui fonce à toute allure sur une route déserte, la femme, Aly (Selma Alaoui) laisse croire à l’homme qui conduit qu’elle parle à sa sœur Juju qui garde sa fille, du moins, elle espère que l’homme (Guillaume Duhesme) croit cela. Ils ont quitté la fête d’amis communs pour aller boire un verre ensemble, puis Aly a souhaité rentrer chez elle et la nuit a pris une autre tournure.

Lorsque Aly appelle la police, Anna (Veerle Baetens) décroche et parvient à empêcher l’agression de s’aggraver. Le lendemain, Aly tente de reprendre son quotidien et minimise les effets de l’agression, mais la policière qui a pris son appel et qui l’a accompagnée, par téléphone, jusqu’à ce que leur voiture soit interceptée souhaite la soutenir dans les démarches qu’elle doit affronter : « Je vous crois mais c’est intangible ! » Dary essaie de se persuader d’une version des faits avec laquelle il peut vivre. Anna essaie de garder le cap mais le chemin est très ardu. Le procès est lancé : la justice peut-elle réparer les victimes ? Les questions que soulève Delphine Girard dans Quitter la nuit sont nombreuses.

Cette introduction a le mérite de planter instantanément le décor et implique le public au cœur de l’intrigue, un rouage que Delphine Girard avait rendu central dans son précédent film, Une Sœur, qui était en lice pour l’Oscar du meilleur court métrage en 2020. La réalisatrice retrouve son trio de personnages ainsi que ses trois acteurs principaux. Dans l’atmosphère anxiogène de l’habitacle de la voiture, le public perçoit toutes les subtilités de ce qui se trame, de ce qui a eu lieu et de ce qui peut avoir encore lieu, à travers les réponses lacunaires d’Aly et ses non-dits, des silences souvent plus éloquents que des mots. Delphine Girard ponctue son récit avec des flashbacks où l’on voit Aly, une jeune femme joyeuse, gaie, enthousiaste qui élève sa fille en garde alternée et partage des moments de complicité avec sa sœur. Puis la caméra nous ramène à la réalité d’Aly qui souffre dans sa chair, mais va tout mettre en œuvre pour sortir du statut de victime.

Outrepassant sa fonction, Anna, la policière qui gère les appels, voit sa vie routinière, entre travail, mari et fils adolescent, bouleversée par cet appel téléphonique nocturne. Anna sait l’éprouvant parcours que va devoir subir cette femme victime une fois que le système judiciaire est lancé; deux chefs d’accusation ont été retenus : le viol et la séquestration. Dary l’homme accusé, donne l’image d’un voisin serviable et surtout d’un fils parfait quand il discute avec sa mère.

Mêlant subtilement ces trois points de vue qui offrent trois lignes narratives distinctes et complémentaires, Delphine Girard réussit la gageure audacieuse de placer la femme victime et l’homme agresseur dans le même plan initial, soulignant que l’attitude, tout à fait compréhensible de la victime qui se fait représenter au tribunal, peut jouer en sa défaveur alors que le témoignage de Dary peut s’avérer décisif et peut faire basculer la décision de la justice.

Avec Quitter la nuit, Delphine Girard dissèque les rouages complexes de la moralité, de l’honnêteté, de la culpabilité potentielle, de la partialité et de l’impartialité. Aly n’a pas le courage de se présenter au tribunal et de voir, d’entendre son agresseur. Mais son refus de passer le deuxième examen médical, son absence au tribunal lui sont reprochés. Comme lui mentionne Anna, aller jusqu’au bout de la procédure permettrait à d’autres femmes de ne pas subir le même sort.

Delphine Girard accorde la même importance à tous ses personnages, sans les juger, et nous montre comment évolue Dary, d’abord dans le déni, peut-être dans l’amnésie éthylique, puis dans la prise de conscience tardive et la perte complète de repères alors qu’il retourne vivre chez sa mère (Anne Dorval, toute en nuances) qui reste un pilier de sécurité et d’amour inconditionnel malgré le profond chagrin qui se lit dans ses yeux.

Quitter la nuit trouble, questionne les « zones grises », marque profondément le public en l’invitant à réfléchir à la prise en charge policière, juridique du viol au niveau collectif et individuel. Le récit de la cinéaste belge, rondement mené et magnifiquement interprété, invite à poursuivre la réflexion au-delà du générique de fin : un jugement et une condamnation suffisent-ils aux victimes pour se réparer ? Une victime doit-elle entendre les excuses de l’agresseur pour pouvoir se reconstruire ?

Les Giornate degli Autori ont célébré le film qui a reçu le Premio del Pubblico, le prestigieux Prix du public.

La réalisatrice Delphine Girard a partagé sa motivation derrière le film en déclarant :

« Je trouve crucial, à ce moment particulier de l’Histoire, et aussi sur le plan personnel, d’essayer de trouver des moyens de donner forme, de substance, et de comprendre ce qui se joue dans un film.  Je dois essayer de montrer ce qui pousse un agresseur à agir, principalement parce que je ne pense pas que nous puissions changer les comportements sans les comprendre. »

Firouz E. Pillet, Venise

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Firouz Pillet

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