Chien 51 de Cédric Jimenez – une France nommée ALMA… un pays sous contrôle de l’IA !
Voici un style totalement inattendu et surprenant pour Cédric Jimenez, le réalisateur marseillais de La French, Bac Nord, Novembre, avec son nouveau film Chien 51, qui se situe à la frontière entre la réalité (à peine) augmentée d’une société dirigée par une Intelligence Artificielle répondant au nom de ALMA, capable en un temps record de reconstituer dans les commissariats d’une France à « deux minutes du futur », des scénarii d’homicides, de crimes et de délits, dans une projection en temps réel et sur grand écran, et cela, pour le compte du Ministre de l’Intérieur – interprété par un Romain Duris irréprochable en « plaqué homme » de lui-même – dans une allégorie hyper réaliste de la société de demain, avec une pincée ou une louche – cela dépend de ce que veut voir, en substance, le spectateur, la spectatrice – de SF en plus.

© 2025 Chi Fou Mi Productions Studiocanal France-2 Cinema Jim-Films Artemis Productions
L’histoire présente trois castes sociales – celle de l’élite, celle de la classe aisée à moyenne, et celle de la classe défavorisée – en trois zones ultra-sécurisées avec des frontières checkpoint entre chacune d’entre elles, équipées de drones en renfort omniprésent pour passer d’une zone à une autre. Les frontières sont surveillées par des policiers dégainant, en plus de leurs armes, une reconnaissance faciale numérotée pour chaque individu franchissant une zone, déclinant leur identité dans la seconde. Le ton est donné : l’ultra sécurité a tué l’intimité de chaque être humain soumis à la tyrannie des algorithmes, comme si l’humanité était à la niche d’un sécuritarisme hors contrôle, sauf de l’IA… et encore : l’erreur est aussi humaine que le bug est technique.
Et qui dit soumission induit l’idée d’émergence d’une révolution pour retrouver sa liberté et sa dignité d’être humain, aussi instinctivement et systématiquement que les données générées par les machines sont livrées systématiquement et logiquement. Ainsi, un groupe de réfractaires à l’IA et aux trois zones sociales, gouverné par un leader – interprété par Louis Garrel – va se charger, dès le début de l’aventure, d’un projet de retour à la liberté et à l’égalité humaines.
À l’intérieur de ce film d’action époustouflant, adapté du roman du même nom écrit par Laurent Gaudé, et de sa mise en scène rapide, nerveuse illustrée par de nombreuses cascades de voitures ou de poursuites de drones contre les humains, non loin, peut-être, de ce qui nous attend demain matin avec l’IA, éclot un duo de deux policiers de deux zones différentes, les zones 2 et 3 – Salia et Zem -, interprétés par Adèle Exarchopoulos et Gilles Lellouche. La zone 1, celle de l’élite de la société, est celle des ministères dont celui de l’Intérieur qui maintient l’ordre sans pitié par IA, avec un bruit de bottes remplacé par les claquements silencieusement fracassants et destructeurs de petits clics sur un clavier !
Voici un énième chef-d’œuvre de Cédric Jimenez dans lequel on réfléchit avec une esthétique linéaire, sombre, en clair-obscur, à la robotisation de l’humanité, de la justice-police, des sentiments et des dérives de l’IA.
On y retrouve des références à Luc Besson dans son Cinquième Élément avec la coupe frange-carré court de Milla Jovovich et celle qui s’y apparente d’Adèle Exarchopoulos, mais aussi une mise en scène à la Baz Luhrmann, parfois, comme dans son Gatsby le Magnifique, avec un tournage au plus près de soirées quasi orgiaques de Gatsby comparables à celle du Nouvel An au Millénium de Chien 51, tranchant par une humanité exacerbée à l’extrême, des costumes et des mœurs fluorescents de vie et d’exubérance, avec les tons noirs et blancs des commissariats de police des zones 2 et 3. Et enfin, l’on y retrouve bien sûr du Cédric Jimenez, notamment avec son film Bac Nord, dans la recherche effrénée d’une justice qui, cette fois, par l’IA, finit par se retourner contre elle-même !
Excellente réalisation aux allures d’un grand film de science-fiction américain, avec, pourtant, une tour Eiffel en fond d’écran permanent signant l’authenticité d’un très bon film français. Cédric Jimenez filme, ici, le présent à J+1 de Paris, déclinable aux autres villes de France, soumis à l’Intelligence Artificielle grandeur nature et le fossé irrémédiable qui se creuse entre les classes sociales et l’insécurité qui s’y rapporte, ses règlements de comptes entre dealers, tout ce qui ronge la société bel et bien mal en point déjà aujourd’hui. Un pari gagné !
Mentions spéciales pour Adèle Exarchopoulos qui emporte le film par sa prestance et sa sobriété d’enquêtrice d’élite, ainsi que Gilles Lellouche interprétant avec une justesse désarmante la désinvolture désespérée d’un flic de troisième zone. À noter les jeux très soignés de Louis Garrel, Artus, Valeria Bruni-Tedeschi et Romain Duris.
Le film est sur les écrans suisses romands et français depuis ce mercredi.
Florence Signoret
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