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FIFDH 2023 : le documentaire My Name Is Happy, suivi d’un débat sur les féminicides, suscite questions et réflexions sur les rouages des violences faites aux femmes à travers le monde et l’histoire

Les chiffres demeurent, malheureusement, effroyables ! Les associations, de plus en plus nombreuses, apparaissent, la prévention est mise en place mais les victimes, isolées, menacées, terrorisées, sont nombreuses à tomber sous les coups de leur conjoint. Le FIFDH a choisi de consacrer un pan de sa programmation à ce thème, en proposant divers films qui parlent de féminicides dont My Name Is Happy, documentaire de création de d’Ayşe Toprak et de Nick Read, projeté en compétition.

My Name Is Happy suit Mutlu, une adolescente kurde du Sud-Est de la Turquie, qui est destinée à une carrière dans la musique grâce à son apparition un célèbre télécrochet, Turkey’s got talent. La veille de la finale, elle se fait tirer dessus par un prétendant qu’elle avait éconduit. Mutlu survit mais avec des blessures qui changent sa vie et la laissent handicapée. Quelques années plus tard, encore en convalescence, elle est touchée par un nouveau drame : sa sœur Dilek est tuée par son petit ami et une voisine est assassinée par son fiancé. Suivant au plus près les protagonistes et récoltant leurs témoignages avec beaucoup d’émotions, le documentaire d’Ayşe Toprak et de Nick Read dénonce une société turque patriarcale gangrénée par de nombreux féminicides, en adoptant le point de vue des survivantes et des femmes qui cherchent à obtenir justice.

Le débat que propose le FIFDH amène tout un chacun à se pencher sur la réalité des féminicides à travers le monde, à commencer par l’Europe. Chaque jour en Allemagne, un homme essaie de tuer sa compagne ou son ex-compagne. L’Autriche est le seul pays de l’Union européenne où plus de femmes que d’hommes sont tuées. Quelle est la responsabilité des décideurs politiques et du pouvoir judiciaire ? Et qu’est-ce qui distingue des pays comme l’Espagne, où le tableau est moins sombre grâce à une système d’information et de sensibilisation ?

La tribune consacrée à la thématique des féminicides, a réuni les intervenantes Mutlu Kaya protagoniste du film (en visioconférence), Rita Laura Segato anthropologue et féministe argentino-brésilienne, Christelle Taraud, historienne et féministe, directrice du livre Féminicides – Une histoire mondiale, ouvrage collectif de synthèse, offrant un état des lieux tant historique que géographique de la violence faite aux femmes, réalisé avec une centaine d’autrices.

Après la présentation des intervenantes, le débat commence en faisant remarquer la résistance qui se note à travers le monde, ce que Rita Laura Segato, intervenue dans des procès de victimes de violences, d’assassinats et de génocides en Amérique latine, spécialiste des violences raciales et des violences de genres, souligne en lien avec la colonialité. Après la projection du film My Name Is Happy, les intervenantes sont invitées à s’exprimer sur ce que ce documentaire leur a procuré. Christelle Taraud souligne la sororité familiale à travers ces deux sœurs victimes de féminicides. La spécialiste souligne l’intérêt de produire des ouvrages pour rappeler cette réalité et espère que cela engendrera une sororité mondiale : « Le droit des femmes est le combat des droits des femmes » et rappelle qu’on peut parler de « pandémie de féminicides ».

Rita Laura Segato commente qu’il y a deux chemins : « l’oubli ou parler, transformer le personnel en collectif, la politisation de ces meurtres en acte politique. Les cicatrices guérissent mieux lorsque l’on parle. ». Christelle Taraud enchaîne en soulignant l’importance des mots pour qualifier des meurtres qui sont encore considérés comme des faits divers dans des sociétés patriarcales. Christelle Taraud parle de « continuum féminicidaire ». La spécialiste enchaîne en rappelant que souvent, les femmes ont de la peine à percevoir les signaux d’alerte car l’intériorisation qui est faite aux femmes est si puissante et perdure depuis si longtemps. Christelle Taraud met en relief les liens entre  « le fait d’être insultée dans la rues, d’être silenciée dans son histoire, le fait de ne pas exister dans sa langue, le fait d’être victime de violences et de crimes sexuels, le fait d’être harcelée surtout les supports possibles », en précisant que

« le harcèlement de rue est le plus évident mais on peut être harcelée par tous les moyens technologiques d’aujourd’hui. Ce continuum féminicidaire est un outil très puissant car il permet d’éclairer le spectre des violences faites aux femmes. Le féminicide n’est jamais spontané mais il sait d’un système d’écrasement des femmes, de micro-agressions à des macro-agressions, dès la naissance d’une femme. Souvent, ces violences ne sont pas connectées les unes aux autres par les femmes victimes. Pour sortir de ce système, il faut changer de paradigme. Dès les temps préhistoriques, le système d’écrasement existe déjà même si, à travers l’histoire, il a pris des formes diverses à travers les classes et es castes. Ce système misogynie a mené au déséquilibre de la démographie mondiale ».

Rita Laura Segato, qui a beaucoup étudié des situations comme celle de Ciudad Juarez, intervient en notant que dans le cas de Mutlu et Dilec,

« il y a une évidente fraternité dans l’action des hommes qui agissent comme une corporation. La structure de la féminité est totalement différente de la masculinité : dans la masculinité, il faut obtenir un statut, il faut montrer qu’on est capable de dominer, ne pas montrer d’empathie, et si un homme ne peut pas dominer, il doit tuer ».

Comme le souligne le programme du FIFDH, autrefois considérés comme une notion militante, les féminicides sont aujourd’hui entrés dans le vocabulaire courant, au-delà des cercles féministes militants. Selon un rapport de l’ONU Femmes de 2022, « la violence à l’égard des femmes et des filles constitue l’une des atteintes les plus fréquentes aux droits de la personne dans le monde ». En effet, dans nombre de cultures, y compris dans nos pays occidentaux, la femme est encore bien souvent considérée comme la possession de son conjoint, sa « propriété » et doit remplir son devoir conjugal et se soumettre inconditionnellement à toutes ses exigences.

Les chiffres sont effrayants : chaque heure, plus de cinq femmes ou filles sont assassinées par un proche, parce qu’elles sont des femmes. Ces chiffres ne sont que des estimations et l’ampleur réelle de ces crimes est très certainement bien plus grande. Aux féminicides conjugaux viennent s’ajouter les tristement célèbres crimes d’honneur. Les intervenantes de ce forum s’interrogent : pourquoi, partout dans le monde, des hommes continuent-ils de tuer des femmes ? Tentant d’apporter des réponses à ce constat terrible des féminicides qui surviennent à travers le monde, Rita Laura Segato estime que les violences de genre sont le terreau de toutes les autres formes de violences.

« Qu’est-ce que la violence de genre si ce n’est la dernière possibilité de se replacer dans une position de domination territoriale et de domination sur les corps des femmes ? »

Grâce au documentaire My Name Is Happy et à la présence de Mutlu en direct sur le grand écran de la salle du Théâtre Pitoëff, les violences faites aux faites prennent un visage. L’importance des témoignages est cruciale et les contributions des intervenantes de ce débat fondamentales. Dans un reportage intitulé Tu m’appartiens : racines d’un féminicide, diffusé sur Arte, le féminicide, encore souvent anonyme, prend une dimension concrète à travers les identités de plusieurs victimes : à Hanovre, Vanessa a subi une attaque à l’acide de la part de son ex-petit ami ; à Berlin, Rebeccah a succombé aux coups de couteau de son partenaire ; à Mérignac, près de Bordeaux, Chahinez a été brûlée vive, devant ses trois enfants, par l’homme dont elle voulait se séparer… Partout en Europe, les féminicides se succèdent et se ressemblent.

— Féminicides : pourquoi des hommes tuent ?
Image courtoisie FIFDH (© Miguel Bueno)

Un pays se différencie pourtant et semble avoir pris de l’avance sur ses voisins : en Espagne, le gouvernement a créé des tribunaux spécialisés pour les affaires de violence sexiste. À Barcelone, à l’été 2021, un garçon de deux ans, Leo, est tué par son père, qui cherchait à se venger de la mère de l’enfant dans le cadre d’un divorce. Depuis cette affaire, le pays considère ce type d’infanticide comme un féminicide par procuration. Dans les cas de féminicides, on oublie fréquemment les victimes collatérales : les enfants.

En France, les violences faites aux femmes, déclarées « grande cause du quinquennat » par Emmanuel Macron, ne diminuent pas, et les défaillances de la justice continuent d’indigner la population. Près d’une femme sur cinq décédée sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint avait ainsi porté plainte avant le drame. En Suisse, les féminicides ébranlent la population mais ce sont les proches des victimes qui pallient les manques de la société en créant des associations d’aide aux victimes comme l’a fait la sœur et le fils aîné de cette mère de famille assassinée par son mari à Courfaivre en 2019.

Outre-Rhin, de manière surprenante pour un pays en avance sur bien des sujets, le terme « féminicide » n’est pas encore vraiment entré dans le vocabulaire dans la langue de Goethe et le fait qu’une femme ait voulu se séparer de son compagnon peut encore contribuer à atténuer la peine de l’homme devant les tribunaux.

Depuis 2022, le décompte #NousToutes informe sur la réalité, en chiffres, des féminicides, des violences sexistes et sexuelles que ce collectif veut combattre, sans discrimination et avec la volonté de rendre visibilise toutes les femmes qui sont assassinées parce qu’elles sont des femmes. #NousToutes est un collectif féministe ouvert à toutes, composé de militantes bénévoles dont le but est de mettre fin aux violences sexistes et sexuelles dont femmes et enfants sont massivement victimes en France. Certaines ont été tuées par un membre de leur famille, d’autres pour avoir refusé un rapport sexuel ou en raison de leur transition de genre. 85% des personnes trans ont déjà subi un acte transphobe, notamment dans la rue, et cette discrimination a des conséquences sur leur vie sociale. D’autres encore ont été poussées au suicide par des hommes violents ou par le (cyber-)harcèlement sexiste et sexuel dont elles étaient victimes.

Ce documentaire et ce débat instructif rappellent que derrière ces chiffres, ce sont des vies qui doivent être reconnues.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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