The Whale, de Darren Aronofsky, fait sombrer le public dans le naufrage de son son héros, obèse et reclus, inspiré par Moby Dick
Présenté en compétition durant la dernière Mostra de Venise, The Whale, film dont l’intrigue tourne autour de la vie d’un homme souffrant d’obésité morbide, joué par Brendan Fraser, marque le retour derrière la caméra d’un des talents les plus visionnaires à la filmographie polyforme du cinéma contemporain : Darren Aronofsky.
Charlie (Brendan Fraser) est professeur d’anglais, mais ses cours se déroulent uniquement via Zoom et avec la caméra éteinte. En effet, l’homme a honte d’être obèse morbide, pesant plus de deux-cent-septante kilos. Il est désormais immobilisé dans sa propre maison dans laquelle il vit isolé du monde et avec la seule assistance de son amie Liz (Hong Chau). Derrière cette spirale d’autodestruction et de confinement auto-infligé se cache un traumatisme du passé… Lorsque la fille troublée de Charlie, Ellie (Sadie Sink), qu’il a abandonné huit ans plus tôt, arrive pour lui rendre visite, il voit une chance de faire enfin quelque chose de bien avec son propre vie. Charlie tente alors de renouer avec sa fille adolescente dans une ultime chance de rédemption.
Le réalisateur de Mother ! (2017), The Black Swan (2010) et Requiem for a Dream (2000) met cette fois en scène un drame extraordinairement intimiste et théâtral, et pour cause ! En effet, l’intrigue de The Whale est inspirée de la pièce éponyme de 2012 écrite par Samuel D. Hunter – qui signe également le scénario de cette adaptation cinématographique.
The Whale était très attendu lors de sa présentation en compétition à la dernière Mostra de Venise : d’une part, pour son sujet, a priori peu glamour. D’autre part, car le film marque le grand retour de Brendan Fraser au cinéma. Si le comédien n’a jamais totalement disparu des écrans – on a notamment pu le voir dans les séries Trust et Doom Patrol -, il n’a jamais renoué avec le succès de La Momie sorti en 1999. Brendan Fraser s’était fait plus rare ces dernières années en raison de problèmes de santé provoqués par les cascades qu’il réalisait lui-même sur les plateaux. L’acteur a aussi sombré dans une dépression suite à une agression sexuelle impliquant Philip Berk, ancien président de la Hollywood Foreign Press Association, organisation qui s’occupe notamment des Golden Globes. Grâce à The Whale, Brendan Fraser revient sur le devant de la scène et a décroché ses premières nominations aux Oscars, aux Golden Globes – cérémonie à laquelle il a refusé de se rendre – et aux BAFTA.
Darren Aronofsky nourrissait le souhait d’adapter The Whale au cinéma depuis qu’il a découvert, dix ans auparavant à New York, la pièce écrite par Samuel D. Hunter. Le cinéaste, impressionné par l’intelligence de la pièce et par le courage de son auteur à questionner la condition humaine, y trouvait matière et inspiration pour un scénario. The Whale met en scène des personnages aux âmes meurtries, complexes, sinueuses, des êtres qui ont commis des erreurs, mais partagent leur amour du prochain et leur humanisme même si, de prime abord, ces êtres ne paraissent pas aimables.
Cette pièce, représentée pour la première fois en 2012, a immédiatement emporté le suffrage du public et de la critique, malgré un sujet qui peut laisser indifférent, voire rebuter. Au théâtre, le public regardait un personnage assis dans son canapé pendant quasiment toute la représentation. Sur grand écran, Darren Aronofsky a su transposer avec justesse les idées abordées et souligner la beauté de la vie, faisant fi de nos préjugés qui cataloguent certaines personnes d’inhumaines ou de non aimables. En tant que spectatrices et spectateurs, on ne peut guère rester insensible au courage et à la grâce de chaque personnage. Darren Aronofsky est parvenu à placer les spectatrices et les spectateurs à l’intérieur d’un personnage auquel ils n’auraient jamais imaginé pouvoir s’identifier. Cette douloureuse expérience autobiographique, transposée sur grand écran et remarquablement incarnée par Brendan Fraser suscite empathie et bienveillance.
Darren Aronofsky aime suivre les personnages jusqu’au-boutiste dans leur volonté d’autodestruction : on a pu le voir dans Pi (2001), Requiem for a Dream, The Wresler (2008), Black Swan. À bien des égards, le catcheur, incarné par Mickey Rourke, dans The Wresler, semble partager beaucoup avec le professeur obèse morbide de The Whale.
Auteur de la pièce d’origine, Samuel D. Hunter, a signé le scénario du film, une nouvelle expérience puisqu’il n’avait jamais écrit pour le cinéma. Pour ce faire, il a dû replonger dans une période sombre de sa vie alors qu’il était étudiant et souffrait d’obésité morbide. Bien qu’il ait minci depuis, Samuel D. Hunter a vécu ce que les gens comme Charlie endurent physiquement, psychologiquement, émotionnellement et socialement. Si l’obésité, touche énormément d’Américains, elle est désormais considérée comme un fléau mondial systémique : le film de Darren Aronofsky avait donc une portée universelle. Le titre fait référence, au sens figuré, au vécu du protagoniste, mais aussi au roman Moby Dick d’Herman Melville (dont le titre complet est Moby Dick ou La Baleine), qui est souvent cité directement et indirectement dans le film The Whale.
Le rôle de Charlie exigeait une implication considérable du comédien afin d’exprimer la vulnérabilité de Charlie. Lesté de prothèses, Brendan Fraser se retrouve dans la situation suffocante de ce professeur de littérature fasciné par Moby Dick. Avec The Whale, le comédien a certainement interprété ici le rôle de sa vie. Brendan Fraser distille une vaste palette émotionnelle avec un incroyable talent, palette enrichie par celle de la jeune Sadie Sink – vue dans Stranger Things (2016),- emplie de nuances multiples. Le reste de la distribution est aussi remarquable : les actrices et acteurs que l’on retrouve à leurs côtés sont tout aussi excellents, soulignons notamment les performances de Hong Chau (The Menu, Downsizing) et Samantha Morton (Minority Report, The Walking Dead).
Avec le sujet délicat, difficile, audacieux et sensible de The Whale, le cinéma démontre une nouvelle fois combien il peut nous connecter les uns aux autres, nous réunir de manière puissante malgré les apparences. Si un message ressort après la projection, c’est de souligner et de rappeler combien les personnes qui luttent contre l’obésité sont fréquemment jugées, rejetées et étiquetées par la société qui en occulte leur humanité.
Sur grand écran, le public se met inévitablement à la place de Charlie, et se plonge dans ses pensées les plus profondes, dans ses regrets et dans ses espoirs.
Un film fort, « coup de poing » qui interroge, émeut, ébranle !
Firouz E. Pillet
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