FIFDH 2023 : Les Âmes perdues, documentaire de Stéphane Malterre et de Garance Le Caisne, donnent la parole aux Syriens qui dénoncent l’administration de Bachar al Assad, pour crimes contre l’humanité. Rencontre
En 2013, un fonctionnaire de l’État syrien fuit Damas avec les photos de milliers de cadavres torturés à mort dans les prisons du pays depuis 2011. Un an plus tard, en 2014, un mystérieux déserteur, portant le nom de code César, divulgue des dizaines de milliers de photographies des victimes du régime syrien, morts sous la torture. Alors que les suppliciés sombrent dans l’oubli et que des milliers de civils disparaissent, leurs familles, leurs avocats et un petit groupe d’activistes tentent de déposer des plaintes dans des tribunaux européens ; l’Allemagne donne l’exemple.
Les Âmes perdues, documentaire réalisé par Garance Le Caisne et Stéphane Malterre, donne la parole à des Syriens en quête de vérité et de justice, et raconte les rebondissements d’enquêtes et de procédures qui conduiront à l’émission de mandats d’arrêts contre les plus hauts responsables de l’administration de Bachar al Assad, pour crimes contre l’humanité. La révélation d’une machine étatique à tuer, par le biais de vingt-sept mille photos de cadavres, morts de faim ou sous la torture dans des centres de détention du régime syrien, avait ébranlé la communauté internationale. Ces photographies, divulguées en 2014 par ce mystérieux déserteur qui a sacrifié sa vie pour faire connaître au monde entier les rouages machiavéliques des geôles syriennes, laissaient espérer que les Syrien.ne.s obtiennent justice. Malheureusement, la justice n’est toujours pas à l’ordre du jour pour le peuple syrien, ni en Syrie ni pour les exilé.e.s. À cause d’intérêts géopolitiques de certains pays et de l’indifférence d’autres nations, la justice internationale renonce à poursuivre le régime de Bachar Al Assad responsable de crimes qui rappellent les barbaries des régimes nazi ou khmer.
Les suppliciés du dossier César sombrent dans l’oubli tandis que des milliers de civils sont arrêtés et disparaissent dans la machine de mort syrienne mais leurs familles et leurs avocats poursuivent leurs combats pour que ces victimes ne sombrent pas dans l’oubli. Avec l’aide des activistes, ils déposent des plaintes dans des tribunaux en Espagne, en France et en Allemagne. Malgré l’abandon des institutions internationales, ils veulent nommer et faire juger les bourreaux, mais aussi lutter contre la terreur et la loi du silence que cherche à imposer la dictature de Damas en pratiquant la torture et la disparition forcée à large échelle. Grâce aux témoignages recueillis par Garance Le Caisne et Stéphane Malterre, la mémoire des morts est ravivée et le sort des vivants est exposé au plus grand nombre afin que le sort réservé aux Syrien.ne.s soit connu.
Tourné dans toute l’Europe pendant près de quatre années, entre 2016 et 2020, ce documentaire inédit mêle des témoignages des proches des victimes, de César, d’un survivant, d’activistes et d’avocat·es ainsi que des images d’archives. Le tandem de réalisateurs questionne l’effectivité de la justice internationale dans la condamnation de ces crimes et mettent en lumière le combat juridique éprouvant des familles des victimes et de leurs avocat·es.
Garance Le Caisne est une autrice et journaliste indépendante, spécialiste du Moyen-Orient et des questions mémorielles. À peine diplômée, elle part en Égypte avec son compagnon qui deviendra son mari et le père de ses deux filles. Le couple, tous deux journalistes, y reste huit ans. Garance Le Caisne a multiplié les reportages dans la région avant de s’intéresser aux banlieues françaises et l’islam de France. En 2010-2011, elle replonge dans le monde arabe à la faveur des révolutions. Depuis, elle couvre en particulier la Syrie afin de comprendre, à travers les crimes du régime, comment survivre à la torture et la disparition forcée, reprendre le contrôle de sa vie et de son histoire. Garance Le Caisne publie des reportages sur la médecine de guerre en Syrie, la destruction des villes et les attaques chimiques, elle co-réalise le documentaire Syrie : témoins à charge (France 5, Al Jazeera, 2016). Traduit en dix langues, son livre Opération César : au cœur de la machine de mort syrienne (Stock, 2015) reçoit le prix allemand Geschwister-Scholl-Preis en 2016. En 2022, elle publie Oublie ton nom : Mazen Al-Hamada, mémoires d’un disparu (Stock) qui raconte l’histoire d’un des personnages du documentaire Les Âmes perdues.
Stéphane Malterre est journaliste et réalisateur à TAC Presse, a parcouru de nombreux pays du Moyen-Orient ainsi que la Libye. Il est l’auteur du documentaire 11 Septembre : enquête sur la théorie du complot, diffusé sur Canal + le 11 septembre 2009 ainsi que des documentaires sur le Djihad et la sécurité privée.
Présents durant cette vingt-et-unième édition du FIFDH, le duo de journalistes et documentaristes nous a parlé des Syrien.ne.s qu’ils ont rencontré.e.s, des procès en cours, du sacrifice de César, du quotidien des Syrien-ne.s en Syrie et des réfugiés en Europe. Rencontre.
Firouz E. Pillet
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