FIFF 2019 : « Camille », de Boris Lojkine, déjà présenté au dernier Festival de Locarno, est proposé dans la programmation du FIFF qui se déroule du 27 septembre au 4 octobre 2019 à Namur
Jeune photojournaliste française éprise d’idéal, Camille Lepage part en Centrafrique couvrir la guerre civile qui se prépare. Très vite, elle se passionne pour ce pays et sa jeunesse, emportée par la tourmente, elle se retrouve au cœur du conflit.
La troisième guerre civile centrafricaine est un conflit inter-communautaire apparu au cours de l’année 2013 en République centrafricaine. Elle oppose les milices de la Seleka , à majorité musulmane et fidèle au président Michel Djotodia à des groupes d’auto-défense chrétiens et animistes, les anti-balaka, fidèles à l’ancien président François Bozizé et accusés d’être soutenus par des anciens militaires des Forces armées centrafricaines.
Entre ces diverses factions, le destin de Camille destin se jouera désormais là-bas.
Le 12 mai 2014, Camille Lepage, vingt-six ans, accompagnait un groupe de miliciens anti-balaka sur lesquels elle réalisait un reportage photo. Ils circulaient en moto et sont tombés dans une embuscade dressée par un groupe opposé, les Séléka. Camille a été tuée sur le coup. La carrière de photographe de Camille Lepage n’aura pas été longue : quelques semaines au Caire, en plein printemps arabe, puis un an au Sud Soudan, pendant lequel elle travaille pour l’AFP avant de devenir indépendante et finalement, la Centrafrique où elle a passé un peu moins de huit mois. Aujourd’hui, cinq ans après la mort de Camille, l’enquête piétine. Aucune reconstitution des faits n’a été réalisée à ce jour. Le dossier d’instruction un temps perdu à Bangui a été finalement retrouvé, mais la perspective d’un procès reste incertaine. Malgré tout, la famille Lepage continue à se battre pour que l’affaire ne soit pas enterrée et qu’on puisse au moins identifier avec certitude le groupe responsable de l’attaque. (sources : dossier de presse, N.D.A.).
Les faits et l’issue tragique sont connus : inutile donc de nous épargner le destin fauché de Camille Lepage, Ainsi, après une scène d’ouverture où la mère de Camille l’accompagne à l’airoport et l’incite à être prudente, on voit un convoi des forces de l’OTAN avancer dans la brousse et apercevoir, aux jumelles, des combattants surexcités et surtout armés ; quand les casques bleus arrivent à leur hauteur, ils découvrent sous une bâche fine 5 corps : quatre hommes noirs et une femme blanche. Le ton est donné : il ne s’agit pas d’un biopic classique.
Pour Boris Lojkine, Camille n’est pas un biopic au sens ordinaire. Le metteur en scène explique :
Ce n’est pas l’histoire d’une immense artiste. Lorsqu’elle est morte à vingt-six ans, Camille ne faisait de la photo que depuis deux ans. Elle avait très vite progressé, elle était devenue une bonne photographe, elle commençait à trouver son style. Mais son œuvre était encore à venir. Elle n’a pas eu le temps. Camille est un récit d’initiation. C’est l’histoire d’une jeune femme idéaliste qui rêve de devenir photojournaliste pour venir en aide à des populations oubliées. Mais en Centrafrique, Camille se retrouve confrontée à une violence à laquelle elle n’est pas préparée. Comment raconter que des gens se mettent à couper leurs voisins à la machette quand on croit à la bonté de l’humanité ? Comment photographier la folie de la guerre quand on aime les gens ? Plongée au milieu de la crise centrafricaine, Camille s’efforce de continuer à faire son travail sans céder au cynisme. Mais est-ce possible ?
En effet, à bien des égards, on se remémore le génocide rwandais entre Hutus et Tutsis, génocide longtemps occultée par les pays, les politiques et les médias occidentaux. Le film de Boris Lojkine nous nous plongent en immersion au cœur du conflit aux côtés de Camille Lepage, incarné avec brio par Nina Leurisse. Sur ce chemin initiatique bouleversant, Camille croisera des étudiants et des reporters du monde, respectivement interprétés par Fiacre Bindala, Bruno Todeschini, Grégoire Colin, Augustin Legrand.
Le film suit un rythme soutenu, quelque soit l’endroit où se trouve Camille. Les éléments politico-historiques sont très documentés. On perçoit que pour écrire et réaliser ce film, le réalisateur a effectué un long et abondant travail d’enquête. Le réalisateur a rencontré tous les proches proches de la jeune femme : sa famille, ses amis et tous ceux qui l’ont côtoyée dans le travail.
Je suis allé à Perpignan assister à des lectures de portfolio. J’ai fait de longues interviews. J’ai lu. Et bien sûr je suis allé en Centrafrique. La peur de trahir Camille m’a souvent obsédé. On ne peut pas s’emparer de la vie d’une personne récemment décédée et en faire n’importe quoi. J’ai essayé de trouver ce qui m’apparaissait comme sa vérité. Mais je me suis souvent demandé ce que Camille penserait du film, si elle s’y reconnaîtrait, si elle l’approuverait
confie-t-il.
C’est ce sentiment de véracité et d’authenticité qui habite le film de bout en bout, ponctué par des réflexions de Camille qui se confie sur son ressenti
Je suis éloignée de ma famille et pourtant c’est en Centrafrique que je me sens proches de mes frères humains. Je ne me suis jamais sentie si vivante mais je resterai toujours une blanche pour eux.
Pour permettre aux spectateurs de cerner les enjeux de cette guerre civile et les différentes faces du conflit centrafricain, Boris Lojkine a imaginé trois personnages d’étudiants : Cyril, jeune étudiant rappeur qui deviendra Anti-balaka ; Leila, fille d’un musulman et d’une chrétienne, qui sera assassinée par des miliciens Séléka ; et Abdou, jeune musulman qui sera contraint à l’exil au Cameroun. Trois personnages que Camille rencontrera, suivra, photographiera et suivra au péril de sa vie.
Cependant, le cinéaste précise à leur sujet :
Bien qu’ils m’aient été inspirés par des personnages réels, ces trois personnages sont fictifs, tout comme les personnages de journalistes. La vraie Camille Lepage a bien rencontré un jeune étudiant rappeur, Cédric Pidjou, auteur du rap que Cyril chante dans la manifestation anti-balaka. Mais Cédric n’est jamais devenu anti-balaka. Et ce n’est pas pour lui que Camille Lepage est revenue en Centrafrique
précise le cinéaste.
Le cinéaste devait effectuer le choix crucial de trouver la bonne personne pour rendre un vibrant hommage à Camille Lepage durant les derniers mois de sa vie. Il explique pourquoi il a jeté son dévolu sur Nina Meurisse :
Nina porte en elle ce mélange de naïveté et de détermination qui est pour moi la définition du personnage. D’un côté elle a ce grand sourire lumineux, ce visage aux pommettes hautes, cette joie enfantine. De l’autre, elle dégage une grande force morale, une véritable intériorité, une profondeur. J’avais tourné Hope, mon premier film de fiction, avec des comédiens non professionnels castés parmi les communautés de migrants. Mon travail avec Nina a été ma première collaboration avec une actrice, et j’avais un peu peur. Peur que Nina reste Nina et ne soit pas Camille. Peur de ne pas retrouver la même vérité que dans Hope. Nina s’est énormément préparée pour le rôle. Elle a beaucoup lu sur Camille, sur la Centrafrique, sur le métier de photojournaliste. Elle s’est mise sérieusement à la photo, elle a pris des cours, elle est allée travailler avec des photographes de l’AFP. Et puis elle est venue en Centrafrique. Elle avait beau s’y être préparée, elle ne s’attendait pas à cela.
A travers la personnalité de Camille Lepage, téméraire, intrépide et farouchement décidée à dénoncer un conflit oublié, le film de Boris Lojkine instruit, informe, rappelle ces massacres sanglants, fratricides et rend un hommage exhaustif à cette jeune photographe reporter qui a sacrifié sa vie pour que les pays occidentaux ouvrent les yeux sur leurs anciennes colonies.
Dans les salles en Suisse et en France: mi-octobre 2019
Firouz E. Pillet, Namur
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