FIFF 2024 – Disco Afrika : une histoire malgache, de Luck Razanajaona, brosse un portrait poignant de « l’île rouge », par le biais de la situation politico-économique chaotique qui étouffe les velléités démocratiques
Disco Afrika : une histoire malgache, présenté à la dernière Berlinale dans la section Generation14plus, coproduit par la France, Madagascar, l’Ile Maurice, l’Allemagne te l’Afrique du Sud, bénéficie d’un scénario écrit à huit mains par François Hébert, Marcello Novais Teles, Ludovic Randriamanantsoa, Luck Razanajaona, qui aborde des valeurs morales et éthiques versus la corruption et l’immoralité.
À Madagascar, de nos jours, Kwame (Parista Sambo), vingt ans, tente de gagner sa vie dans les mines clandestines de saphir en compagne de son ami Rivo (Dominique Toditsara). Les deux jeunes gens rêvent d’avenir : l’Eldorado supposé en France, pourquoi pas faire le tour du monde ou alors retourner chez eux, à Tamatave pour acheter un grand terrain et y construire une maison. Tamisant la terre fangeuse à la recherche de saphirs, tous deux s’échinent au travail. L’irruption de la gendarmerie brise leurs rêves (« la terre a été achetée par des étrangers ») et Rio y laisse la vie. La mort violente de son ami culpabilise Kwame en proie aux douloureux souvenirs liés à la disparition de son père lors d’une manifestation alors qu’il était enfant. Le retour dans sa ville natale se fera donc mais en bus, avec le cercueil de son ami, parcourant l’île embrasée par les dissensions post-électorales entre pro-démocrates et miliciens qui s’emparent des voies de communication.
À la croisée des chemins, confronté à la corruption endémique qui ronge son pays, Kwame retrouve sa mère, d’anciens amis. Agité par des sentiments contraires, il va affronter des dilemmes existentiels et des choix cornéliens, entre argent facile et fraternité, individualisme et solidarité, le tout mâtiné d’un éveil à une conscience politique. Face au déclin sociétal de son île, l’attrait de la richesse immédiate va mettre à rude épreuve l’intégrité du jeune homme : « Creusant les profondeurs longtemps, j’ai cherché mon chemin. Je sais maintenant que ce ne sont pas des pierres que tu tires ta valeur, mais des âmes courageuses qui t’ont donné leur sang. Madagascar, ô mon pays, je tâcherai d’être digne de toi. »
Ce portrait, porté par l’excellente bande-son signée Pierre Gratacap, est mis en relief par la photographie lumineuse et contrastée de Raphaël O’Byrne, habitué à saisir la personnalité des lieux, lui qui a commencé à travailler sur des documentaires qui le font voyager à travers le monde.
Portant un regard bienveillant sur son protagoniste, le cinéaste mêle intelligemment la lutte personnelle d’un jeune homme face à l’adversité et en quête d’équité avec l’héritage de la mémoire collective. Disco Afrika : une histoire malgache invite le public à un voyage au cœur de la reconstruction durable de tout un continent et semble résonner avec les mouvements africains des droits civiques des années 1970 qui étaient la suite logique des indépendances obtenues dès le milieu des années 1950 jusqu’à la fin des années 1960. La fin du joug colonial suscite alors un éveil artistique et musical porté par le souffle des luttes démocratiques dans le sillon des indépendances. À travers l’histoire personnelle du protagoniste, le film questionne l’héritage du colonialisme et la longue émancipation des « décolonisés » vers l’élaboration d’une véritable identité politique mais aussi économique, sociale, culturelle et musicale. La difficulté d’y accéder y est brillamment illustrée par le conflit entre tentations faciles et intégrité résistante.
Avec ce premier long métrage de fiction, Luck Razanajaona s’interroge sur le présent de Madagascar qui se reconstruit sur les blessures du passé :
« Pendant l’indépendance malgache, les idées, la force, la colère et le surnaturel ont tous contribué à un cocktail explosif visant les envahisseurs. Mais, en fin de compte, la guerre a-t-elle changé quelque chose ? »
A l’instar du protagoniste, Madagascar, comme nombre de pays africains, est tiraillé par les décisions contradictoires du peuple, ballotté entre probité et tentation de céder aux solutions faciles, compromettant les idéaux sociaux. Cet antagonisme amène le public à accompagner le protagoniste tout en se questionnant sur les choix moraux et éthiques auxquels tout un chacun peut être confronté. Cependant, le cinéaste malgache reste persuadé que la jeunesse africaine est capable de contribuer activement à l’avenir du continent et a déclaré :
« Le message que je souhaite véhiculer à travers ce film est que, malgré les épreuves de la vie, il faut toujours garder espoir. »
Firouz E. Pillet, Namur
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