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Film Fest Gent 2019 – Papicha, premier long métrage de fiction de Mounia Meddour : une ode à la liberté !

Juste avant sa sortie en Europe, et après avoir fait partie de la programmation de plusieurs festivals depuis sa Première à Cannes 2019 dans la section Un Certain Regard, la sortie du film en Algérie a été annulée ! Cependant, par un phénomène que l’on pourrait qualifier de génie algérien, Papicha concourra en tant que représentant de l’Algérie pour le meilleur film étranger aux Oscars, l’Academy ayant accepté de faire une dérogation, puisque pour qu’un film soit éligible dans cette catégorie, il faut qu’il ait été projeté au minimum 7 jours dans le pays représenté.

Papicha de Mounia Meddour
© Jour2fête

Certes, l’histoire que raconte Mounia Meddour est bien ancrée dans une ligne de temps, celle de la montée de l’islamisme intégriste et du terrorisme en Algérie de la décennie noire, mais cette ligne de temps se prolonge à bien des égards jusqu’à présent, que ce soit dans les événements politiques à retardement vis-à-vis d’autres pays de la région Maghreb-Machrek et le hirak qui animent les rues et agitent les esprits algériens ou, tout simplement dans l’illustration parfaitement actuelle d’une phrase dite à Nedjma par par le petit ami de sa meilleure amie : « couvre-toi un peu pour éviter les problèmes, c’est tout ! ». C’est peu ou prou ce que continuent de faire un certain nombre de femmes et jeunes femmes en Algérie pour simplement avoir la paix dans leur vie quotidienne. Évidemment, cette portée temporelle congruente à également une portée géographique qui va bien au-delà du monde communément appelé arabo-musulman pour, sur cette planète en pleine rétrogression, atteindre toutes les religions et toutes les régions de notre terre.

Papicha, une jeune fille aux mille visages

Inspiré de faits réels, Papicha concentre dans ses personnages principales les traits de milliers de jeunes filles qui se sont retrouvées plongées dans l’obscurité d’une société qui petit à petit grignotait des pans de leurs libertés – qui n’étaient pas non plus extraordinaires ni très étendus – pour finir par les mettre en cage, qui plus est recouverte d’un voile comme certains mettent un drap sur la cage de leurs oiseaux pour leur tranquillité.

 

Mais pour Nedjma, l’héroïne de Mounia Meddour, interprétée avec incandescence par Lyna Khoudry, pas question de se laisser enfermer : elle lutte de toute ses force, de toute sa rage mais également de toute sa joie et sa foi en la vie pour conjurer ce sort que des hommes – et des femmes, veulent imposer à toute sa génération. Les intimidations et les injonctions pour la mettre dans le droit chemin viennent de toutes parts, des trahisons se font, les gens qu’elle fréquentait changent, les attentats et assassinats se multiplient, la peur s’installe comme un bruit de fond sourd et persistant, l’acouphène de la terreur qui vrille en permanence l’esprit des gens. Néanmoins, dans ce vacarme cataclysmique, il y a des instants de grâce qui jaillissent et des colonnes de solidarité et de résistance qui s’installent.

Nous sommes à Alger dans les années nonante. Nedjma a 18 ans, elle habite la cité universitaire où elle est étudiante et elle crée des robes qu’elle vend aux papichas, terme qui désigne à Alger les jeunes filles jolies, pétillantes et modernes. La nuit, avec sa meilleure amie, elles se faufilent à l’extérieur de la cité par le grillage troué et vont faire la fête jusqu’au petit matin dans une boîte de nuit avant de rentrer par le même chemin à la cité pour aller en cours. Le film s’ouvre sur cette scène de prise de liberté, mais immédiatement, le spectateur sent que cette liberté arrachée aux règles en vigueur transporte en elle une menace sourde : le chauffeur de taxi clandestin qu’elles prennent est effrayé et outré par leur comportement extraverti consistant à changer de vêtements dans la voiture, chanter, se maquiller, puis totalement terrorisé – tout comme les filles d’ailleurs qui font profil bas – lorsqu’ils sont contrôlés par des militaires cagoulés à un barrage en ville. Sur cette simple scène d’ouverture, Mounia Meddour pose à la fois le contexte d’une situation qui se dégrade inexorablement et le clash entre deux visons du monde qui vont s’affronter pendant une heure trois quarts.

Suite à un événement tragique, Nedjma va décider de se battre, de ne pas plier et d’organiser une défilé de mode avec ses copines de la cité comme modèles, avec l’idée totalement géniale et subversive qui consiste à utiliser exclusivement le tissu du haïk (le vêtement traditionnel, blanc ou noir selon les régions, qui enveloppe tout le corps et est porté par les femmes au Maghreb) pour faire ses créations modernes ayant des contours et des formes.

Papicha de Mounia Meddour
© Jour2fête

La force du film est de nous dépeindre une situation qui défie toutes les limites de la tragédie – en 2019, tout un peuple en reste traumatisé et blessé avec de profondes cicatrices qui balafrent sa mémoire collective –  dans une optique de résistance, de résilience et de déterminisme individuel. Nedjma, ses amies, sa famille ne sont pas seulement des victimes, ce sont des combattantes; l’intelligence de Mounia Meddour est de montrer les souffrances, les pleurs et les cris mais aussi les éclats de rire, les moments de joie et d’espoir. La cinéaste qui vient du documentaire maîtrise de bout en bout son film, avec une scénario bien ficelé malgré la difficulté de condenser en 106 minutes un processus qui a duré quelques années avant d’atteindre le paroxysme de la fin du film, une caméra à la fois précise dans son positionnement selon l’action mais également extrêmement bienveillante envers les regardé.e.s et les regardant.e.s, et une direction d’acteur totalement au service de l’ouvrage, toutes les actrices et tous les acteurs étant d’une justesse éloquente.

Nedjma créatrice d’identité et de liberté

Nedjma, comme sa grande sœur symbolique née du ventre de la guerre d’indépendance dans la plume du fondateur de la littérature algérienne francophone post-indépendance ,Kateb Yacine, avec son « cycle de Nedjma » (Nedjma, Le Cercle des représailles, Le Polygone étoilé), est créatrice d’identité, identité qui ne peut s’exprimer sans l’acquisition de liberté(s). Ici, singulièrement, la liberté de Nedjma, c’est de créer et présenter sa vision de la mode et refuser les diktats qui commencent également par la mode : le port du hijab dans l’espace publique.  Le tissu du haïk, « fait pour moitié de laine, pour moitié de soie » comme elle l’explique à ses amies, qu’elle transforme sans le couper ni le coudre mais en le pliant devient l’étendard de cette liberté entachée du sang de la violence qui vide le pays de ses forces vives.

— Lyna Khoudri – Papicha
© Jour2fête

La liberté – et ses droits inhérents – est un bien toujours en péril, toujours questionné et jamais acquis. Papicha nous renvoie à cette réalité, nous rappelle qu’ici comme ailleurs il faut rester vigilant et, le cas échéant, lutter pour la préserver. Ceci étant dit, que les –phobes de tous genres ne se réjouissent pas trop et ne s’avisent pas de prendre Nedjma comme héroïne de leur infecte vision du monde : le film porte en lui l’universalité des massacres en tous genres perpétrés de nos jours par des individus, des groupes et des États dans une stratégie économico-idéologique qui n’a que faire de considérations humanistes.

Mais s’il y a une leçon cosmique à tirer de cette planète comme du film, c’est que le soleil continue toujours de briller dans le ciel, que les fleurs finissent toujours par repousser dans la terre et les enfants naissent du ventre de l’amour.

De Mounia Meddour; avec Lyna Khoudry, Shirine Boutella, Amira Hilda Douaouda, Zahra Doumandji, Yasin Houicha, Nadia Kaci, Meriem Medjkrane, Samir El Hakim, Marwan Zeghbib, Aida Ghechoud, Khaled Benaissa, Amine Mentseur; Algérie, France, Belgique, Qatar; 2019; 106 minutes.

Le film est sorti sur les écrans romands, belges et français.

Malik Berkati, Gand

www.filmfestival.be/en

[Lire également la 1ere critique du film faite par FeP au Festival de Namur]

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Malik Berkati

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