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Gian Manuel Rau met en scène Fréhel c’est moi, à l’affiche jusqu’au 24 mars dans la petite salle du Théâtre de Carouge. Rencontre avec le metteur en scène

Dans Fréhel c’est moi, d’après un roman de Violaine Schwartz, adapté et mis en scène par Gian Manuel Rau, la comédienne valaisanne Christine Vouilloz incarne, dans un remarquable seule-en-scène, l’artiste des Années folles.
Fréhel, ce nom propre évoque un cap de grès rose qui s’enfonce dans la Manche sur la côte nord de la Bretagne. Mais c’est aussi le nom de scène d’une chanteuse mythique du Paris des Années folles et de l’entre-deux-guerres, dont les chansons – notamment La Java bleue – ont laissé une empreinte indélébile dans la mémoire collective.

— Christine Vouilloz – Fréhel c’est moi
© Mario del Curto

Fréhel naît Marguerite Boulc’h en 1891 à Paris, de parents bretons qui vivent dans les quartiers populaires du 17e arrondissement. Marguerite Boulc’h n’aurait pu rester qu’une petite chanteuse de rue, perchée sur un cageot, accompagnée d’un orgue de barbarie, mais le destin lui sourit et lui ouvre les portes du music-hall parisien alors qu’elle n’est encore qu’une adolescente. En 1906, elle est vendeuse au porte-à-porte et a l’audace de frapper à la porte de La Belle Otero, une actrice, danseuse et demi-mondaine célèbre à la Belle époque. Sous le nom de scène de Pervenche, Marguerite Boulc’h donne ses premiers tours de chant dans un café-concert et son répertoire fait déjà la part belle à la chanson réaliste qui dépeint de manière sombre et poignante la vie quotidienne dans les quartiers populaires de la Ville Lumière. À seize ans, elle rencontre un jeune comédien nommé Robert Hollard, alias Roberty. Le couple a un premier enfant qui meut en bas âge et son mari est volage. Divorcée, la jeune artiste connaît un succès croissant qui l’amène à enregistrer un 78 tours chez Odéon sur lequel figurent les titres C’est une gosse et Fanfan d’amour. Après son divorce, elle entretient une relation passionnelle avec Maurice Chevalier qui la quittera pour Mistinguette, un chagrin dont elle ne se remettra pas. La vie de Fréhel, faite de succès et de périodes plus sombres, ne sera pas un long fleuve tranquille. Elle sombrera dans les paradis artificiels, des démons qui influeront grandement sa vision du monde. décalée.

Le destin chaotique de cette chanteuse réaliste de l’entre-deux-guerres, ballotée entre gloire et moments de perdition, entre bonheur et épreuves, regorge de tant d’aspérités qu’elle ne pouvait que susciter fascination, inspiration et créativité. C’est le cas du trio d’artistes qui nous réunit sur le plateau de la grande salle du Théâtre de Carouge : Fréhel a inspiré l’auteure et comédienne Violaine Schwartz qui a compagnonné avec le metteur en scène Gian Manuel Rau et la comédienne Christine Vouilloz pendant plusieurs années pour concocter ce spectacle.

Formée à l’école du Théâtre National de Strasbourg, la comédienne et écrivaine française est l’auteure de pièces radiophoniques, de pièces de théâtre et fait du théâtre depuis 1990. Bien décidée à sortir de l’oubli Fréhel, Violaine Schwartz marche sur les pas de cette artiste en réveillant le fantôme de L’inoubliable inoubliée (1891-1951) dans son roman Le Vent dans la bouche, publié en 2013 aux éditions P.O.L.

Entraînant le public dans les tourbillons de cette vie virevoltante tel un manège de Montmartre, Fréhel c’est moi livre les mots de Violaine Schwartz et retranscrit des états d’âme et des émotions de l’artiste grâce à l’écrin que lui offrent la mise en scène épurée et le décor pictural de Gian Manuel Rau, sublimés par le jeu redoutablement corporel, voire organique, de Christine Vouilloz.

Né en Suisse, Gian Manuel Rau fait ses études et ses débuts à Zurich, puis part pour Paris et Berlin. En parallèle de ses études, il travaille comme photographe de théâtre, et monte, dès 1996, des pièces de Beckett et de Botho Strauss et élabore des performances dans des galeries d’art. Gian Manuel Rau fait de l’assistanat au Theater Neumarkt à Zurich, chez Volker Hesse et Stephan Müller ainsi qu’auprès de Thomas Ostermeier à la Schaubühne de Berlin – où il vit depuis vingt-cinq ans – et, dès 2001, il se consacre uniquement à la mise en scène. Le metteur en scène suisse a créé une quarantaine de spectacles à la Schaubühne de Berlin, aux théâtres de Bâle, de Stuttgart, de Vidy-Lausanne ou encore à la Comédie Française de Paris.

Habitué à explorer aussi bien le répertoire classique que le domaine contemporain, il accompagne Fréhel, aux côtés de Violaine Schwartz et de Christine Vouilloz, depuis 2022. Assisté à la mise en scène par Nalini Menamkat, dans une scénographie épurée signée Anne Hölck, Gian Manuel Rau offre un écrin charnel qui chavire et ébranle le public.

Gian Manuel Rau s’est confié sur sa rencontre avec l’écriture de Violaine Schwartz dont il a lu tous les livres et sur le jeu de Christine Vouilloz qu’il retrouve avec enthousiasme. Il nous livre un éclairage précieux et bienvenu sur ses intentions pour la scénographie et l’univers musical, entre autres. Rencontre.

 

Firouz E. Pillet

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