La Bonne épouse sur les écrans romands
Tenir son foyer et se plier au devoir conjugal sans moufter : c’est ce qu’enseigne avec ardeur Paulette Van Der Beck (Juliette Binoche) dans son école ménagère à Forbach en Alsace. Ses certitudes vacillent quand elle se retrouve veuve et ruinée, découvrant que feu son mari, Robert Van Der Beck (François Berléand) a contracté quatre crédits pour des courses à chevaux et a collectionné des images de magazines pornographiques. Est-ce le retour de son premier amour (Edouard Baer) ou le vent de liberté de mai 68 qui l’anime soudain ? Et si la bonne épouse devenait une femme libre ? Tel est le sujet, traité avec beaucoup d’humour et de facétie, du dernier film de Martin Provost.
Le réalisateur-scénariste poursuit l’exploration de sa thématique de prédilection, les images féminines, en mettant l’accent sur l’émancipation féminine, en se penchant sur le microcosme d’une école ménagère en 1967 avant qu’elle ne soit pris épar le vent révolutionnaire de mai 68.
Martin Provost nous a habitués aux destins féminins tragiques tel celui de la peintre Séraphine avec Yolande Moreau en 2008. Le réalisateur retrouve justement son actrice deux ans plus tard dans Où va la nuit, l’histoire d’une femme qui assassine son mari pour retrouver sa liberté. Martin Provost fait des portraits de femmes son motif récurrent ; il dirige ensuite Emmanuelle Devos et Sandrine Kiberlain dans Violette, l’histoire de l’intense amitié entre Violette Leduc et Simone de Beauvoir dans le Saint-Germain-des-Prés d’après-guerre. En 2017, dans Sage Femme, on retrouve cette fois Catherine Deneuve et Catherine Frot devant la caméra de Martin Provost, qui s’intéresse à la relation hors du commun entre une femme et l’ancienne maîtresse de son père défunt. Martin Provost, que j:mag avait rencontré à Namur, nous avait confié avoir fait un film plus intime, lié à a propre naissance alors que la sage-femme qui avait accouché sa maman avait donné son sang pour sauver le nouveau-né : Martin Provost avait souhaité rennes hommage à cette profession sauvent oubliée.
Dans un premier souffle, on découvre Juliette Binoche, l’épouse parfaite et directrice d’école ménagère, se laquant les cheveux et se pomponnant, en tailleur rose pâle; le film nous immerge dans les sept piliers qui font une épouse parfaite telle que les hommes aimeraient avoir à leurs côtés, potiche et boniche soumise, dans l’abnégation.
Le scénario est plutôt subtil et rondement amené, et permet d’aborder tout un panel sur les conditions de la femme des années soixante ainsi que les revendications émergentes mais encore muselées, voire étouffées d’une génération de femmes qui souhaitent obtenir certains droits. A propos de droit, il est question de celui du plaisir quand quelques pensionnaires de l’institut font le mur pour se cacher dans le bistrot des parents afin d’écouter une émission radio qui donne des conseils pour permettre aux femmes de connaître leurs corps et leur sexualité. Au fil des mois, bien que portant le noir du veuvage, Paulette retrouvera dans les bras de son amour de jeunesse le plaisir et l’épanouissement.
Nous apprécions la filmographie de Martin Provost pour sa finesse, sa subtilité et son humour raffiné. Nous retrouvons dans La bonne épouse tous ces ingrédients, en particulier un humour fin et jubilatoire qui rappelle l’excellent Potiche, de François Ozon, en 2010, avec Catherine Deneuve. A son instar, Juliette Binoche est tout aussi enjouée, impériale et savoureusement drôle pour un scénario et une mise en scène exquise et délicate.
La Bonne épouse rassemble, à la veille de la révolution soixante-huitarde, une brochette de jeunes femmes intégrant une institution devant les former exclusivement à devenir de bonnes ménagères tenant parfaitement leur maison et donc des épouses idéales pour leurs maris, y compris dans le lit conjugal !
Martin Provost nous sert cette fresque sociologique des écoles ménagères sur un plateau d’argent, tenu par une épouse modèle mais qui ne le restera guère longtemps . On se laisse porter par cette comédie enjouée, intelligente, délicieusement percutante et très instructive, tout en étant drôle en distillant avec finesse un humour délectable à souhait dans une mouture très innovante dans son concept !
Martin Provost sait choisir ses comédiens, en particulier ses actrices et, surtout, il leur est fidèle.
Il faut souligner que cette comédie est un pur ravissement car menée tambour battant par un magnifique trio féminin, Juliette Binoche, Noémie Lvovsky – méconnaissable en Soeur Marie-Thérèse frondeuse, capable de manier fusil de chasse et de conduire une DS, intrépide car ancienne résistante – et Yolande Moreau – sœur du directeur, corvéable à souhait, enseignant la cuisine gracieusement car « Robert estime normal que je n’ai pas de salaire comme je suis logée dans la maison familiale, nourrie, blanchie. »
Martin Provost réussit une fantaisie féministe plaisante et joyeuse, mais surtout instructive qui permettra aux jeunes générations de constater les acquis et droits obtenus par les générations qui les ont précédées.
Firouz E. Pillet
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