L’Abbé Pierre – Une vie de combats, de Frédéric Tellier, retrace la vie et la vocation consacré au parcours du fondateur d’Emmaüs. Rencontre
Venu avec son comédien principal au Festival du Film francophone d’Helvétie 2023 à l’occasion de la projection du film L’Abbé Pierre – Une vie de combats, Frédéric Tellier a relevé la gageure de relater intégralement la vie de l’Abbé Pierre sur grand écran. Le film sort sur les écrans romands.
Né dans une famille aisée, Henri Grouès a été à la fois résistant, député, défenseur des sans-abris, révolutionnaire et iconoclaste. Des bancs de l’Assemblée Nationale aux bidonvilles de la banlieue parisienne, son engagement auprès des plus faibles lui a valu une renommée internationale. La création d’Emmaüs et le raz de marée de son inoubliable appel de l’hiver 54 ont fait de lui une icône. Pourtant, chaque jour, il a douté de son action. Ses fragilités, ses souffrances, sa vie intime à peine crédibles sont restées inconnues du grand public. Révolté par la misère et les injustices, souvent critiqué, parfois trahi, Henri Grouès a eu mille vies et a mené mille combats. Il a marqué l’Histoire sous le nom qu’il s’était choisi : l’Abbé Pierre.
Avant que Benjamin Lavernhe n’incarne l’Abbé Pierre, d’autres acteurs ont endossé la soutane, coiffé du fameux béret noir : André Reybaz dans Les Chiffonniers d’Emmaüs (1954), de Robert Darène, Lambert Wilson dans Hiver 54, l’Abbé Pierre (1989), de Denis Amar. Le défi à relever pouvait impressionner, d’autant plus que Frédéric Tellier recherchait un acteur capable de créer du mimétisme tout en faisant une composition, de ses vingts ans à sa mort.
Le film de Frédéric Tellier met aussi en avant le personnage de Lucie Coutaz, qui fut la secrétaire de l’Abbé Pierre, de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à sa mort. Pour ce rôle, le cinéaste retrouve Emmanuelle Bercot qu’il a dirigé dans Goliath (2022).
Raconter la biographie complète de l’Abbé Pierre dans un film faisait courir le risque de sombrer dans l’hagiographie pure et simple, ce que le réalisateur a su judicieusement éviter. Les légendes écrites par l’abbé lui-même ou ses proches sont légion. Le cinéaste a su rester factuel en relatant comment un être humain a renoncé à son milieu aisé pour se consacrer à Dieu et aux autres, en avouant avec sincérité ses moments de doute récurrents.
Frédéric Tellier opte pour un récit chronologique qui présente le jeune séminariste s’engageant auprès les Capucins – un des ordres religieux les plus rigoureux -, sans avoir a priori le physique ou la capacité de résistance requise. Le père supérieur lui faisant comprendre qu’il devrait opter pour un ordre moins exigeant, cette remise en question de sa vocation fera comprendre au jeune Henri qu’il s’est trompé de chemin. Il se retrouve un peu en errance jusqu’à ce que la guerre éclate. Appelé sous le drapeau, Henri Grouès mène ses hommes au combat en priant pour eux, sachant qu’il va en perdre. Puis, la caméra de Frédéric Tellier nous montre la rencontre, décisive, avec Lucie et Georges (Michel Vuillermoz), un homme rejeté par la société et qui peine à trouver sa place à sa sortie de prison. Ces deux personnes vont changer la donne pour l’Abbé Pierre, baptisé ainsi par Lucie Coutaz quand elle lui établit de faux documents. La rencontre avec Georges constitue pour lui la confrontation directe avec la misère et à une réalité croissante qui l’alerte et le bouleverse.
Le scénario, richement documenté, transmet la force du combat livré par l’abbé et sa colère face aux inégalités et à l’inertie du gouvernement. L’écriture peaufinée structure ce récit épique dont la véracité a été possible grâce à la rencontre avec Laurent Desmard, secrétaire particulier de l’abbé pendant quinze ans et président de la Fondation Abbé Pierre. Laurent Desmard a confié au cinéaste des moments, et des souvenirs qui ne sont pas dans la littérature officielle. Ses confidences lui ont révélé l’Abbé Pierre dans ses facettes les plus intimes, révélant son mode de fonctionnement, ses origines, ses échecs, ses doutes. Toutes ces révélations récoltées ont permis d’élaborer un solide scénario.
À l’issue de la projection, il ne fait nul doute que le film de Frédéric Tellier a une visée idéologique et une portée didactique. En effet, dans la dernière ligne droite du film, le cinéaste a choisi d’intégrer des plans de SDF dans la rue d’aujourd’hui pour signifier que cette histoire reste malheureusement d’actualité. Le cinéaste souligne que le cinéma parle du monde : « Les films nous émerveillent artistiquement, émotionnellement, et aussi nous poussent à réfléchir, à changer peut-être un peu notre regard. »
Rencontre:
Firouz E. Pillet
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