Le Miracle du Saint Inconnu, le premier long métrage de Alaa Eddine Aljem, propose une fable burlesque sur le Maroc contemporain
Le Miracle du Saint Inconnu, le premier long-métrage écrit et réalisé par Alaa Eddine Aljem dépeint le Maroc contemporain, entre superstitions et modernité, est certainement l’une des belles découvertes de la Semaine de la critique à Cannes, en 2019.
La séquence d’ouverture présente une vue panoramique majestueuse de dunes de sable qui s’étendent à perte de vue puis surgit une voiture au milieu de ce décor pictural. Au beau milieu du désert, Amine (Younes Bouab) court ou plutôt fuit. Sa fortune à la main, la police aux trousses, il gravit une colline où il enterre son butin dans une tombe bricolée à la va-vite.
Lorsqu’il revient dix ans plus tard, l’aride colline est devenue un lieu de culte où les pèlerins se pressent pour adorer celui qui y serait enterré : le Saint Inconnu. Obligé de s’installer au village, Amine va devoir composer avec les habitants sans perdre de vue sa mission première : récupérer son argent.
Quand un jeune médecin (Anas El Baz) arrive au village pour prendre ses fonctions au dispensaire, un vieil infirmier (Hassan Ben Bdida) aux lunettes triple foyer l’accueille. Le premier jour de sa consultation, le nouveau médecin découvre avec surprise qu’il n’y a que des femmes dans sa salle d’attente et toutes se plaignent de maux inventés. Le vieil infirmier lui remet sagement une boîte de médicaments et lui explique : « Seules les femmes viennent au dispensaire, les hommes vont au mausolée du saint inconnu. Tu es la seule sortie pour ces femmes mis à part le hammam et le hammam, ce n’est qu’une fois par semaine, le dispensaire, c’est tous les jours. »
Alaa Eddine Aljem met en exergue l’hégémonie des croyances, des superstitions qui imprègnent la culture populaire. Des croyances omniprésentes qui rythment la vie quotidienne des villageois tel cet arbre à prières devant le mausolée où les villageois suspendent des bouts de tissus en exprimant leurs voeux et leurs prières.
Parallèlement à la vie relativement paisible des villageois, Amine poursuit son dessein et a fait appel à son ancien co-détenu (Salah Bensalah) mais ce dernier commet des vols au mausolée et vise volontairement le chien du gardien et qui décrète : « Ces histoires de miracles, ce sont des conneries. » Alaa Eddine Aljem émet une évidente critique de la superstition.
Alaa Eddine Aljem s’est inspiré d’un fait bien réel qu’il a découvert dans le sud marocain : un mausolée construit pour honorer un âne que son propriétaire adorait. Ici, c’est le gardien du mausolée qui vénère son chien et rudoie constamment son fils qu’il ne nourrit même pas. Quand l’animal est blessé, le gardien n’hésite pas un instant et sollicite le barbier, qui est aussi arracheur de dents et les remplace par des dents en or et le jeune médecin. Tous deux demandent l’aide du médecin qui voit dans cette intervention providentielle une porte d’entrée dans la vie communautaire des villageois.
Après l’intervention, le gardien amène son chien, muni de ses nouvelles dents en or, sur une brouette : tous les villageois attendent et se mettent à applaudir, les femmes lancent des youyous de joie.
Le petit village qui s’est construit autour du mausolée d’un saint inconnu semble symboliser, par le truchement de ce microcosme, le Maroc et ses habitants, représentés par les villageois qui représentent les archétypes de la société. Un des fils conducteurs du film est le rapport à l’argent et jusqu’où on est prêt à aller par cupidité ou par croyance.
Amine tente à de multiples reprises de récupérer on butin mais à chaque fois, la pente à peine gravie, Amine redescend aussitôt sans jamais atteinte on but dans une déconcertante métaphore de l’état stationnaire du pays.
Avec respect, sans aucune moquerie, Alaa Eddine Aljem décrit son pays et ses compatriotes qui espèrent avec stoïcisme un souffle nouveau qui tarde à venir.
Alaa Eddine Aljem étudie le cinéma à l’ESAV Marrakech puis à l’INSAS à Bruxelles en master réalisation, production et scénario. Alaa travaille pour le cinéma et la télévision en tant que scénariste et assistant réalisateur avant de fonder avec Francesca Duca, Le Moindre Geste, une société de production basée à Casablanca. Alaa réalise plusieurs courts-métrages de fiction dont Les Poissons du Désert en 2015 qui remporte le grand prix du meilleur court-métrage, le prix de la critique et du scénario au Festival National du film au Maroc et est sélectionné dans de nombreux festivals internationaux.
Le Miracle du Saint Inconnu est son premier long métrage en coproduction franco-marocaine, tourné à Marrakech. Lors du développement le projet, Alaa participe à Open Doors de Locarno et y remporte le prix ICAM, au Screenwriters’ Lab du Sundance Institute et à La Fabrique des Cinémas à Cannes en 2016 et il est sélectionné lors de la 58e Semaine de la Critique.
Firouz E. Pillet
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