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Cannes 2023 : Le Retour, de Catherine Corsini, présenté en compétition, offre une escapade délicate, aux inspirations personnelles, sur l’île de Beauté

Le dernier film de Catherine Corsini retrace le retour de ses protagonistes, à l’image du retour à ses racines corses que la cinéaste a effectué lors d’un voyage entrepris à quinze ans. La cinéaste Catherine Corsini, écartée de la sélection officielle dans un premier temps, tout comme Jean-Stéphane Sauvaire, a finalement pu rejoindre la course pour la Palme d’Or de cette 76ème édition du Festival de Cannes.

— Esther Gohourou, Suzy Bemba et Aissatou Diallo Sagna – Le Retour
Image courtoisie Festival de Cannes

En lice avec Le retour, un long métrage tourné en Corse qui suit une femme travaillant pour une famille parisienne huppée, Catherine Corsini a confié revenir sur ses origines corses. Filmant la nourrice de cette famille qui lui propose de s’occuper de leurs enfants pendant leurs vacances sur l’île de Beauté, la réalisatrice procède par touches progressives, permettant au public de reconstituer progressivement les pièces d’un subtil puzzle, raffiné et recherché.

La caméra de Catherine Corsini suit une mère, pudique mais aimante, volontaire, dure à la tâche, Khedija (la remarquable et remarquée Aissatou Diallo Sagna, révélée par La Fracture, en infirmière d’un service d’urgence en ébullition) et ses filles adolescentes, Farah (Esther Gohourou) et Jessica (Suzy Bemba) qui l’accompagnent sur l’île de Beauté. L’île de leur père corse, mort peu après la naissance de la cadette, dans des circonstances tragiques, entretenues par le secret de la famille paternelle et les convictions intimes de la grand-mère corse, Michelle (Marie-Ange Geronimi).

Les employeurs de Khedija – Sylvia (Virginie Ledoyen) et Marc (Denis Podalydès) vivent dans l’opulence et peuvent se permettre les services assidus de leur assistante maternelle, corvéable à souhait, qu’ils logent avec ses filles dans un bungalow. Le trio solaire que forment Aïssatou Diallo Sagna et ses incroyables filles de fiction, à la fois si différentes et si complémentaires, séduit dès les premières séquences. Avec ces trois figures féminines, tout est grâce et volupté, le film de Catherine Corsini irradie de beauté et de luminosité. Chacune apporte sa tonalité et sa personnalité mais chacune retient l’attention du public qui est immédiatement sous le charme. Dans un délicieux yin et yang qui traverse tout le récit, les deux sœurs se chamaillent, se disputent, se provoquent pour aussitôt se réconcilier et s’enlacer. Jessica est la fierté de sa mère : discrète, appliquée, studieuse, elle a réussi le concours pour entrer à Sciences Po Paris. Farah est la rebelle, toujours à remettre les gens en place, « à chercher les problèmes » comme lui dit sa mère. Farah ne supporte pas les injustices et quand Orso (Harold Orsini) le jeune homme qui tient une cahute sur la plage, insulte de jeunes enfants d’origine maghrébine et leur confisque leur ballon, Farah prend aussitôt leur défense. Côté propos racistes, Farah sera servie en Corse mais Catherine Corsini sait judicieusement éviter la caricature. Jessica découvre les criques secrètes de l’île en compagnie de Gaïa (Lomane De Dietrich), la fille née d’un premier mariage de Marc alors que Farah poursuit sa révolte qui vire au militantisme.

Le Retour distille une agréable atmosphère, suave, délectable et envoûtante grâce aux divers comédien.nes, tous très justes dans leurs rôles, mais les deux jeunes interprètes qui incarnent les sœurs captivent les regards et l’attention par leurs personnalités qui contrastent autant que leurs revendications. Ces jeunes comédiennes séduisent et convainquent par leur façon de se mouvoir, leur façon d’évoluer dans l’espace, par leur façon d’être et de devenir, par l’éveil des sens et des désirs. Catherine Corsini sait magnifier les corps sans ne jamais trop dévoiler.

Le Retour de Catherine Corsini
Image courtoisie festival de Cannes

Face à la jeune génération, l’ancienne génération – la mère de famille tout comme l’élite bourgeoise et la grand-mère corse – amène Catherine Corsini à révéler délicatement leurs failles et leurs travers en les égratignant avec tendresse sans ne jamais les malmener. Sur l’Ile de Beauté, Khedidja retrouvera l’ami d’enfance de feu son mari, Marc-Andria (Cédric Appietto) et pourra panser ses blessures.

La France mène la vie dure à Catherine Corsini : son dernier film, qui devait figurer initialement dans la sélection officielle, en avait été temporairement retiré puis remis. La raison de ces valses hésitations : des soupçons de harcèlement et d’irrégularité d’une scène intime avec une mineure qui ont valu à la réalisatrice tant d’émotions, d’incertitude et de contrariétés.

Cette deuxième compétition pour Catherine Corsini a connu moult déboires puisque son film a connu une mesure exceptionnelle : le Centre national du cinéma (CNC) a privé la cinéaste d’une aide financière car LA scène impliquant une mineure n’avait pas été déclarée à une commission chargée d’étudier les demandes de tournage, selon l’AFP.

Mais les habitués de la Croisette savent combien Catherine Corsini suscite des vaguelettes, parfois des vagues qui vont jusqu’au remous. Tout un ramdam guère justifié ! Dans un entretien accordé au Monde, la cinéaste, accompagnée de sa productrice, Elisabeth Perez, a réagi aux attaques qu’elles avaient essuyées :

« Dans les choses qui m’ont été reprochées, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il y a un fond de misogynie. J’ai été l’une des premières à travailler avec des équipes féminines (…). Certains reproches ont été pris par des hommes avec un orgueil mal placé, parce qu’ils venaient d’une femme. »

Ses déclarations ne font qu’abonder dans le sens d’Adèle Haenel, soutenue par d’autres actrices qui dénonçait à nouveau cette année en plein cœur de la grand-messe du septième art les violences d’un système de domination masculine.

Face à tant de haine, Le retour amène douceur, délicatesse, volupté et sensualité !

Firouz E. Pillet, Cannes

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Firouz Pillet

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