L’Étranger de François Ozon : une adaptation camusienne maîtrisée
L’Étranger, de François Ozon, atteste une fois de plus de l’amour du cinéaste pour la littérature et de son talent à transposer une œuvre littéraire à l’écran.

© Carole Bethuel
Le cinéaste français adapte à nouveau un ouvrage littéraire et en signe le scénario en collaboration avec Philippe Piazzo. Jugée difficile, voire impossible à porter au cinéma, cette œuvre représentait un défi de taille que François Ozon a relevé avec la maestria coutumière qui le caractérise.
L’Étranger est le premier roman d’Albert Camus, paru en 1942. Cependant, les premières esquisses de cette œuvre datent de 1938. Le roman ne prend véritablement forme que dans les premiers mois de 1940 et Camus le peaufine jusqu’en 1941. Il s’inscrit dans le « cycle de l’absurde », une tétralogie qui décrit les fondements de la philosophie camusienne. Ce cycle comprend également l’essai Le Mythe de Sisyphe (1942) ainsi que les pièces de théâtre Caligula (1942) et Le Malentendu (1944).
À l’instar du roman, le film de François Ozon plonge le public dans la blancheur d’Alger, en 1938, et suit Meursault (Benjamin Voisin), un jeune homme d’une trentaine d’années, de condition modeste, qui enterre sa mère sans manifester la moindre émotion, presque indifférent à la situation. L’incipit de l’œuvre est lapidaire, et le réalisateur a su remarquablement reproduire la sobriété de ces quelques lignes. Le lendemain de l’enterrement, le jeune homme entame une relation avec sa collègue de travail, Marie Cardona (Rebecca Marder), et reprend le cours routinier de ses journées. Mais son voisin, Raymond Sintès (Pierre Lottin), vient perturber son quotidien en l’entraînant dans des affaires louches, jusqu’à ce que survienne un drame sur une plage, sous un soleil de plomb…
Les cinéphiles se souviennent de l’adaptation précédente de L’Étranger par Luchino Visconti (1967), avec Marcello Mastroianni et Anna Karina, mais le film, qui paraissait mineur dans la filmographie du cinéaste italien, n’avait connu qu’un succès limité à sa sortie.
Fidèle à sa « famille » de comédiens, François Ozon retrouve ici plusieurs acteurs avec lesquels il a déjà collaboré, comme Benjamin Voisin (L’Été 85, 2020), Rebecca Marder (Mon Crime, 2023), Swann Arlaud (Grâce à Dieu, 2018), qui joue ici l’aumônier de prison, ou encore Pierre Lottin, également présent dans Grâce à Dieu et Quand vient l’automne (2024).
L’on se doute que, vu les relations franco-algériennes actuellement tendues, François Ozon a dû jeter son dévolu sur un autre pays, en l’occurrence le Maroc, et particulièrement la ville de Tanger, dont la blancheur et l’architecture rappellent celle de la capitale algérienne. Ces deux éléments sont particulièrement mis en valeur par la photographie signée Manuel Dacosse et par le choix esthétique du noir et blanc. Ozon avait déjà eu recours à ce procédé en 2016 pour Frantz ; il lui a permis ici de réduire les coûts de tournage tout en reconstituant avec réalisme l’Algérie de Camus.
Les puristes de l’œuvre camusienne noteront que le cinéaste s’est octroyé quelques libertés par rapport au roman, donnant plus d’importance à deux personnages féminins : celui de Marie Cardona et celui de la sœur de l’Arabe.
Sur le plan musical, le film est porté par la bande originale signée Fatima Qadiri. Les fans du groupe The Cure, une passion que partage le cinéaste, retrouveront l’un de leurs morceaux, Killing an Arab, dans le générique de fin.
François Ozon prouve une nouvelle fois toute sa dextérité et sa finesse en tant que scénariste et réalisateur, confirmant son statut de cinéaste chéri de l’Hexagone.
Firouz E. Pillet
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