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IFFR2022 – Yamabuki de Juichiro Yamasaki : une œuvre qui laisse ses protagonistes continuer leur chemin à la sortie du générique

Présenté dans le section Tiger Competition du Festival international du film de Rotterdam 2022, Yamabuki  se situe dans la ville du réalisateur, dans les montagnes à l’ouest du Japon, Maniwa. Cette familiarité des lieux donne au film un côté très réaliste, renforcé par l’emploi du 16 mm, que Juichiro Yamasaki compense par des procédés cinématographiques plus oniriques, amenés par l’usage de l’animation (de Sébastien Laudenbach, La Jeune Fille sans mains – 2016) et de la musique (Olivier Deparis). Le résultat de ce contrepoint, de cette dureté des lieux et des destins mélangée avec le monde intérieur des protagonistes est un film d’une très grande délicatesse et intelligence – Juichiro Yamasaki n’est jamais dans le jugement, laisse la place aux ambivalences, aux évolutions des caractères et laisse au public assez d’espace pour en imaginer ses propres terminaisons. Le rendu narratif est sublimé par la facture technique ; l’action de la caméra, tenue par Kenta Tawara, est d’une remarquable fluidité dans ses mouvements, tirée au cordeau dans ses cadres et accompagnée d’un brillant travail sur la lumière (Yusuke Fukuda) qui offre au grain de l’image une aura intemporelle.

Yamabuki de Juichiro Yamasaki
Image courtoisie International Film Festival Rotterdam

Chang-su (Kang Yoon-soo), ancien cavalier olympique de l’équipe de Corée du Sud, criblé de dettes suite à la faillite de l’entreprise paternelle, travaille dans une carrière. Il vit avec Minami (Misa Wada) et sa fille en bas âge, qui a fui son mari et sa famille il y a sept ans. Non loin de là, au carrefour principal de la ville, Yamabuki (Kilala Inori), une lycéenne qui a perdu sa mère et vit avec son père policier (Yohta Kawase), se met spontanément à manifester de manière silencieuse, en songeant à des causes lointaines. Sans jamais vraiment interférer les unes dans les autres, les vies de Chang-su, de Yamabuki et des autres habitants de la ville commencent à s’entrecroiser.

Yamabuki, nom de la jeune fille qui donne son titre au film, est une fleur, le corête du Japon (Kerria japonica) qui s’épanouit chaque printemps à flanc de montagne, dans des lieux peu ensoleillés. Difficiles d’accès, la fleur et la jeune fille partagent le destin de cette métaphore : elles sont simples, sauvages, il est risqué d’essayer de les astreindre. Alors que le film porte tout d’abord sur le personnage de Chang-su, au fil du récit l’attention se déplace sur Yamabuki, orpheline d’une mère qui a mis son éthique professionnelle et son sens de la justice au-dessus de toute autre considération. La jeune fille, dans sa quête de compréhension, s’engage, elle aussi,, par le biais de ces manifestations silencieuses contre le nucléaire, pour la paix, sans que l’on sache si elle est motivée par une réelle conviction ou s’il s’agit pour elle de tenter de comprendre l’élan qui peut pousser au sacrifice.

— Yohta Kawase – Yamabuki
Image courtoisie International Film Festival Rotterdam

Le cinéaste a puisé son inspiration dans l’environnement de sa ville, une campagne montagneuse, où, à côté de son activité de cinéaste, il travaille comme agriculteur de tomates. Kang Yoon-soo est d’ailleurs un acteur coréen également installé à Maniwa, avec sa famille qui, comme celle de son personnage, est composée de trois personnes avec qui il n’a pas de liens de parenté. Le personnage de Chang-su est attachant à suivre, soumis qu’il est à des éléments extérieurs qui l’empêchent de se réaliser. Acculé de tous côtés, il se débat pour tenter de poursuivre son rêve modeste et pourtant essentiel : vivre avec sa famille de cœur.
Yamabuki aborde plusieurs sujets de manière transversale – la quête d’identité, l’émancipation, le poids des traditions, l’autorité étatique, la famille recomposée, l’engagement politique, la précarité économique et sociale, le deuil – mais il en est un auquel son réalisateur se mesure frontalement : celui de la xénophobie, particulièrement envers les Sud-coréens encore très stigmatisés au Japon, qu’ils soient primo-arrivants ou issus de plusieurs générations sur le sol nippon.

— Kilala Inori – Yamabuki
Image courtoisie International Film Festival Rotterdam

Juichiro Yamasaki pose dans son film la prémisse de la vie de chacun.e de ses protagonistes à l’instant T où on les regarde ; il les laisse continuer leur chemin après le générique – on ne peut qu’espérer que les choses aillent mieux pour elles.eux une fois hors champ…

De Juichiro Yamasaki; avec Kang Yoon-soo, Kilala Inori, Yohta Kawase, Misa Wada, Masaki Miura, Hisao Kurozumi, Mayumi Sakura, Riho Shamura; Japon, France; 97 minutes; 2022.

Malik Berkati

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