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Mami Wata de C.J. «Fiery» Obasi – Du sacré au profane, le récit réaliste d’un village fictif

Mami Wata est une divinité d’Afrique de l’Ouest, mère des eaux, à la fois vénérée et crainte. Une prêtresse fait office d’intermédiaire entre la déesse et la communauté sur laquelle elle règne. À Iyi, un petit village fictif bordé par l’océan et coupé de la modernité du monde, la prêtresse, Mama Efe (Rita Edochie), commence à perdre de ses pouvoirs de guérison et de conviction. Même sa fille, Zinwe (Uzoamaka Aniunoh), censée lui succéder, remet en question son rôle d’intermédiaire et même de l’existence d’un pouvoir transcendant. La seconde fille de Mama Efe, Prisca (Evelyne Ily), recueillie par sa mère lorsqu’elle était enfant, rescapée d’une des guerres civiles qui déchirent la région, croit, elle, dur comme fer en la force de cet esprit aquatique.
Lorsqu’un jeune garçon tombe malade et que Mama Efe ne peut le sauver, la critique qui couvait parmi certain·es villageois·es s’étend, ce qui ne manque pas d’attiser les rivalités et les velléités de pouvoir au sein du village, ainsi que l’entrisme de rebelles qui font surgir la terreur et la mort dans ce lieu jusqu’à présent préservé du fracas du monde extérieur.

— Evelyne Ily – Mami Wata
© trigon-film.org

C . J. Obasi ouvre, avec ce conte naturaliste, de nombreux axes de réflexion, dans une esthétique à couper le souffle, avec un noir et blanc organique, sculpté par la lumière et les ombres dans lesquelles étincellent les maquillages, les coquillages d’apparat et les ornements de tissus qui rehaussent le port altier des villageois·es. Le cinéaste découpe son film en actes qui rappellent la tragédie grecque, annoncés par des cartons qui reprennent des séquences de dialogues ou d’événements à venir. Le procédé rythme le récit, qui pourrait cependant être plus tendu dans certaines parties, et projette les spectateurs·trices dans cette ambiance très finement dosée, entre surnaturel et réalisme de la condition humaine – celui qui témoigne des pulsions qui traversent une société, entre rivalités, jalousie, soif de pouvoir et de matérialité.

L’habileté de C. J. Obasi est de développer un récit autour de personnages principaux qui évoluent, qui sont ambivalents, les éléments un peu plus caricaturaux étant laissés aux personnages secondaires, ce qui, une fois n’est pas coutume, sert l’histoire en permettant de mettre à jour sans grandes fioritures narratives les leviers psychologiques qui font qu’une arrivée allogène libère les pulsions, fait tomber les masques et passer à l’acte.
Ce facteur étranger est très intéressant dans l’ambigüité qu’il introduit : difficile de dire si Obasi prône un certain conservatisme, un retour aux sources, une reprise en main d’une propre vision du monde. La réflexion est passionnante, entre envie d’appartenir au monde, d’avoir des écoles et des hôpitaux, de s’inscrire dans le développement économique, et les forces malfaisantes qui accompagnent cette ouverture, prêtes à foncer comme des vautours sur les gens qui vivent simplement et les entraîner dans un tourbillon délétère au son des canons et des violences qui se reproduisent dans un enchaînement asservissant.

En revanche, ce qui transparaît assurément, c’est la volonté du réalisateur de montrer différentes facettes des femmes africaines, très éloignées de la représentation occidentale post-coloniale de la femme noire, ou celle hypersexualisée ou caricaturale (en positif comme en négatif) de Nollywood. Les protagonistes sont à la fois fortes et pleines de doutes et de peurs, peuvent se tromper, malgré leurs pouvoirs et leur intelligence, par amour, par crédulité, par perte de repères, mais elles sont aussi capables de puiser un nouveau courage dans la solidarité, la sororité, faire appel à la loyauté de celles et ceux qui, dans un premier temps, restent passifs devant l’adversité. Si Mami Wata est bel et bien ancré en Afrique, dans ses traditions et sa spiritualité, le récit onirique que fait C. J. Obasi traverse ces spécificités pour rendre compte de réalités générationnelles, culturelles, cultuelles, sociales et politiques sans frontières.

De C.J. «Fiery» Obasi; avec Rita Edochie, Uzoamaka Aniunoh, Evelyne Ily, Emeka Amakeze, Kelechi Udegbe; Nigeria ; 2023 ; 107 minutes.

Malik Berkati

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