Martigny : la Fondation Gianadda, en collaboration avec la Tate, accueille à nouveau les œuvres William Turner pour en savourer la lumière
Jusqu’au 25 juin 2023, tous les jours de 10h00 à 18h00, la nouvelle exposition intitulée The Sun Is God, permet de découvrir une centaine d’œuvres dont l’exubérance chromatique se mêle à l’alchimie de la lumière.
David Blayney Brown, curateur à la Tate Britain, signait, en 1999, une remarquable exposition : Turner et les Alpes qui remportait un grand succès. Les cimaises de la Fondation Gianadda accueillent une seconde fois les chefs-d’œuvre de Turner, ce célèbre paysagiste de la période romantique, né à Londres, dans le quartier de Covent Garden, en 1775.
Vingt-quatre ans plus tard, David Blayney Brown assure à nouveau le commissariat de cette exposition proposant plusieurs thèmes illustrés par les huiles, les aquarelles et les gouaches de cet illustre artiste dont l’œuvre oscille entre romantisme et impressionnisme. Parmi toutes ces techniques, la sélection proposée à Martigny démontre à quel point l’aquarelle joue un rôle essentiel dans la manière dont William Turner capture l’intensité des forces de la nature avec une expressivité inégalée.
Cette exposition thématique, qui n’est pas présentée de manière chronologique, rend un magnifique hommage à ce précurseur de l’impressionnisme, à la vie secrète et à la personnalité rustre, décédé en 1851 à Chelsea, à Londres.
Enfant prodige
Antoinette de Wolff Simonetta, conférencière à la Fondation Gianadda, nous a donné de précieuses clefs de lecture pour comprendre et apprécier toute l’inventivité de William Turner dont la précocité impressionne. Comme le rappelle Antoinette de Wolff Simonetta, William Turner signa ses premiers dessins à l’âge de douze ans, surtout des copies d’après d’autres artistes, et fut le plus jeune artiste jamais élu à la Royal Academy. Si plus de la moitié de l’œuvre peinte de Turner est constituée de sujets marins, les montagnes sont également une immense source d’inspiration. Le peintre était obsédé par le pouvoir élémentaire des mers et des océans, les effets de la combinaison de l’eau et de la lumière à Venise que la Cité des Doges lui permit de sublimer.
Reconnu comme le plus grand paysagiste de la période romantique en raison de sa maîtrise de la lumière, de la couleur et de l’atmosphère, Turner est admis à l’école de la Royal Academy en 1789 ; il suit d’abord les cours d’après l’antique, puis ceux d’après le modèle vivant jusqu’en 1793. Cette même année, il reçoit un prix de la Royal Society of Arts pour le dessin et le paysage.
Un grand voyageur et un lecteur curieux
William Turner fera de nombreux voyages, d’abord en Grande-Bretagne, les frontières étant fermées à causes des guerres napoléoniennes, puis, quand la situation le permet, le peintre se rend en France, en Suisse, en Italie : ses nombreux déplacements contribuent largement à son inspiration. C’est ainsi que l’exposition octodurienne fait la part belle à la période où Turner se passionne pour les paysages alpins suisses et allemands et propose des vues de Chamonix, du Château de la Bâtiaz mais aussi de Lucerne, du Rigi et du Lac des Quatre Cantons.
Antoinette de Wolff Simonetta souligne combien les sujets mythologiques sont anecdotiques dans l’œuvre de William Turner qui choisit d’éclipser la présence et l’activité humaine pour magnifier la nature, les paysages, le ciel et les phénomènes météorologiques. Turner rencontre rapidement le succès, surtout grâce à l’aquarelle, première technique dans laquelle il s’exprime et qui permet d’affirmer en un instant la trace d’un rayon de soleil ou d’un orage. L’aquarelle démontre la technique maîtrisée de l’artiste puisqu’elle ne permet pas le repentir, aucune retouche contrairement à l’huile. Sa virtuosité se voit couronnée en 1802 par son élection comme membre à part entière de la Royal Academy. Londres et la Tamise se révèlent des thèmes récurrents, mais les contrées plus lointaines qu’il découvre lors de ses nombreux voyages l’amènent parfois à parcourir des sites plus difficiles d’accès, escarpés, qu’il atteint en prenant des risques. L’exposition nous permet d’admirer le fameux Pont du diable que Turner semble avoir placé plus haut que le pont réel, certainement pour en accentuer la dimension vertigineuse et périlleuse.
Grâce à ses innombrables voyages en Grande-Bretagne, en Europe et dans les Alpes, William Turner signe une œuvre colorée, dont l’exubérance chromatique se mêle à l’alchimie de la lumière. L’exposition The Sun Is God met en évidence combien ce précurseur du paysage romantique et de l’impressionnisme a influencé des peintres comme Monet et Pissaro même s’il ne fit guère apprécier par ses contemporains pour lesquels il était trop novateur.
Un collectionneur et un artiste incompris par ses contemporains
William Turner peinait à vendre ses œuvres et quand il le faisait, il les rachetait dès qu’il en avait les moyens. Ainsi, quand il fait don à la nation de toutes ses œuvres, ce legs colossal est bien embarrassant pour l’Angleterre, d’autant plus que l’artiste n’est pas apprécié à sa juste valeur. Un peu plus de cent-septante ans plus tard, on se réjouit que William Turner, qui n’a cessé de grimper dans l’estime générale, ait fait le cadeau de son atelier à son pays. Des centaines de toiles, des milliers d’aquarelles et de dessins, d’innombrables carnets, dont certains sont exposés dans des vitrines. William Turner avait une mémoire phénoménale, lisait avec une immense curiosité mais aimait trouver les paysages qu’il observait durant l’été pour les peindre à la saison hivernale.
Rencontre audio aussi avec Antoinette de Wolff Simonetta:
Firouz E. Pillet
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