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Monsieur Aznavour, de Mehdi Idir et Grand Corps Malade, propose un biopic très démonstratif et illustratif porté par la prestation de Tahar Rahim

Conforté par l’aval des proches de l’artiste, le duo de cinéastes a choisi de se concentrer sur une période allant de l’enfance de Charles Aznavour jusqu’à son ascension dans les années septante en mettant la lumière sur son talent, ses travers, ses forces, ses amours et ses amitiés.

— Tahar Rahim – Monsieur Aznavour
© Antoine Agoudjian

Monsieur Aznavour réunit à nouveau le tandem de réalisateurs formé par Grand Corps malade et Mehdi Idir, qui avait déjà réalisé Patients (2017) et La vie scolaire (2019). Admirateurs inconditionnels de l’artiste, et peut-être pour lui rendre hommage l’année du centenaire de sa naissance, les cinéastes ont choisi de raconter sa vie et sa remarquable ascension rendue possible par un dur labeur en optant pour un biopic, un genre de plus en plus prisé par le septième art. Précisons que les cinéastes avaient été approuvés par Charles Aznavour qui, soucieux de donner leur chance aux plus jeunes, les a lui-même choisis avant sa disparition.

Le défi à relever était périlleux puisque avant que Tahar Rahim n’incarne Aznavour sur grand écran, d’autres comédiens avaient déjà interprété le chanteur : Alban Casterman dans La Môme (2007) d’Olivier Dahan, Ruben Madureira dans le téléfilm Piaf (2010) de Filipe La Féria ou encore Corrado Invernizzi dans Io sono Mia (2019) de Riccardo Donna.

Fils de réfugiés, petit, pauvre, à la voix voilée, on disait de lui qu’il n’avait rien pour réussir. À force de travail, de persévérance et d’une volonté hors norme, Charles Aznavour est devenu un monument de la chanson et un symbole de la culture française. Avec près de mille deux-cents titres interprétés dans le monde entier et dans toutes les langues, il a inspiré des générations entières. Le film proposé par Mehdi Idir et Grand Corps Malade nous invite à découvrir son parcours exceptionnel et intemporel. À ces interprétations, ajoutons les prestations du chanteur qui avait aussi joué son propre rôle à plusieurs reprises, notamment dans Oh ! Qué mambo (1959), un film franco-italien réalisé par John Berry, Pourquoi Paris ? (1964) de Denys de La Patellière, La Vérité sur Charlie (2002) de Jonathan Demme ou Emmenez-moi (2005) d’Edmond Bensimon.

Le tandem relate le destin du chanteur franco-arménien et citoyen genevois au temps de son enfance où l’on voit le petit Charles exécuter des danses traditionnelles tourbillonnant sur un pied et sur une main sur le tapis du salon devant la famille qui l’encourage en l’applaudissant jusqu’à la consécration internationale de l’icône de la chanson française au milieu des années 1970. Le film est doté d’un important travail de documentation en amont, dont la lecture des deux autobiographies de l’artiste ainsi que des ouvrages journalistiques, des écoutes de ses mille deux cents chansons, du visionnement de tous les documentaires qui lui sont consacrés ainsi que de toutes ses interviews,

Pour rappeler le parcours des Aznavourian et des nombreux Arméniens rescapés du génocide, les réalisateurs ont choisi, dans un acte politique, de commencer leur film par des images du génocide arménien, même s’ils pensaient lors de l’écriture du scénario ne pas en trouver. Pour pouvoir concrétiser leur intention, ils ont fait appel à des documentalistes qui sont revenus avec des images inédites. Soulignons un autre geste politique de la part des cinéastes quand, à la fin du film, ils font appel à la voix de Claire Chazal qui souligne qu’Aznavour, fils d’immigrés et d’apatrides, est devenu l’un des symboles de la culture française.

Le film nous retrace donc ce parcours exemplaire de Charles Aznavour (1924-2018), issu d’un milieu modeste, parti de rien, mu par une volonté infaillible et une pugnacité de gravir les échelons, « se voyant déjà artiste au sommet de l’affiche », petit et à la voix éraillée, mais empli d’un charisme dont il joue avec les femmes qui lui succombent rapidement. Divisé en cinq chapitres qui permettent de deviner les ellipses voulues dans le scénario, le film nous détaille, par le menu, comment l’artiste en devenir ne croyait ni en sa bonne étoile ni au destin, mais avait foi uniquement dans le travail et l’effort invétéré. Pour celles et ceux qui ont pu voir le chanteur sur scène, la précision de l’orchestration et les enchaînements millimétrés de ses concerts sont une démonstration tangible de la discipline que Charles Aznavour s’imposait à lui-même comme il l’imposait ses musiciens.

Charles Aznavour a été un véritable stakhanovisme en travaillant dix-sept heures par jour, inlassablement, avec acharnement et discipline et a fait fi des critiques. Le film montre les débuts difficiles quand presque tout le monde conseille au jeune homme d’opter pour une autre voie, mais Aznavour ne se laisse pas décourager, persévère et se produit devant des salles au public clairsemé.

Le duo de cinéastes met en lumière un chapitre méconnu du grand public alors que le chanteur croise le chemin de Pierre Roche (Bastien Bouillon), un fils de bonne famille avec lequel il chanta en duo, partant sur les routes de France à bicyclette pour se produire dans un petit théâtre miteux à Lille, tous deux convaincus que c’est le premier pavé de l’édifice d’une longue carrière. On voit aussi Aznavour retenir l’attention d’Edith Piaf qui le prendra, un temps, sous son aile. On le voit rencontrer Gilbert Bécaud (Lionel Cecilio) et Johnny Hallyday (Victor Meutelet) ou encore Frank Sinatra (Rupert Wynne-James). Monsieur Aznavour souligne combien ces collaborateurs de la première heure ont ouvert au chanteur débutant les portes du beau monde lui donnant accès aux premières marches de la célébrité.

Monsieur Aznavour de Mehdi Idir et Grand Corps Malade
© Antoine Agoudjian

Il faut souligner le travail gestuel et la transformation corporelle de l’acteur principal. Pour se préparer, Tahar Rahim a regardé des heures d’interviews et a suivi des cours de piano, de gestuelle et de chant. En effet, c’est bel et bien le comédien qui chante à l’écran, même si des chansons originales de Charles Aznavour sont également utilisées dans le long métrage.

Durant sa préparation, l’acteur, qui est plus grand que feu le chanteur, a dû perdre du poids pour que sa silhouette concorde avec celle d’Aznavour. Pour compléter sa ressemblance physique, Tahar Rahim portait des micro-prothèses, posées par la cheffe maquilleuse Kaatje Van Damme. Accompagné dans sa métamorphose par d’excellents coaches – Daniel Lucarini pour le chant, et Pascal Luneau pour une approche globale – Tahar Rahim a mis un point d’honneur à ne pas être doublé pour les scènes musicales ; le résultat à l’écran est très troublant quand le public réalise que ce sont ses mains que l’on voit à l’écran lorsqu’il joue de la musique. L’investissement du comédien tout aussi colossal quant au chant puisqu’il a répété en amont du tournage entre six et huit heures par semaine pendant six mois.

L’écueil principal que Tahar Rahim voulait éviter était celui de l’imitation. Pour cerner la psychologie de l’artiste, l’acteur a proposé aux réalisateurs de faire lire le script à une psychologue pour qu’elle livre son analyse de la psychologie du personnage.

Monsieur Aznavour fait la part belle aux multiples facettes artistiques d’Aznavour en tant que compositeur, parolier, interprète. Malheureusement, seulement une brève mention à sa carrière sur le grand écran est faite quand il joue chez Truffaut. Si Charles Aznavour a tourné dans une cinquantaine de films, Monsieur Aznavour ne fait référence qu’à un seul de ses rôles, celui dans Tirez sur le pianiste (1960) de François Truffaut. De toute évidence, les réalisateurs ont choisi le film le plus connu dans sa filmographie et ont préféré se centrer sur sa carrière en tant que chanteur.

Pour interpréter La môme Piaf, si magnétiquement incarné par Marion Cotillard en 2007, la mission semblait terriblement redoutable. Marie-Julie Baup s’est indubitablement préparé à ce rôle à grand renfort de lectures et de documentaires, mais son interprétation, en majeure partie outrancière et putassière, en fait un personnage ridicule et grotesque. Ce personnage dénote complètement avec le reste de la distribution et ternit, à regret, une biographie filmée qui bénéficiait de nombreux atouts pour convaincre le public.

Si vous ressortez de la séance avec un sentiment mitigé, il faut vous concocter une bonne compilation des chansons d’Aznavour !

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

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