Mostra 2019 : la 76ème édition accueille La vérité, de Kore-eda Hirokazu en film d’ouverture
La vérité, réalisé par Kore-eda Hirokazu (Une affaire de famille , Le troisième meurtre, Tel père, tel fils) et mettant en vedette Catherine Deneuve, Juliette Binoche, Ethan Hawke, est le film d’ouverture en compétition de la 76e édition de la Mostra Internazionale d’Arte Cinematografica qui s’ouvre aujourd’hui 28 août et se déroule au Lido de Venezia jusqu’au 7 septembre 2019.
Dirigée par Alberto Barbera et organisée par la Biennale di Venezia présidée par Paolo Baratta, la Mostra était heureuse de pouvoir accueillir le premier film que le réalisateur japonais a tourné à l’étranger.
Dans La vérité, Fabienne (Catherine Deneuve) est une star de cinéma française entourée d’hommes qui l’adorent et l’admirent et dont certains sont àa la fois son cuisinier et son amant comme Jacques « même si il est meilleur cuisinier qu’amant ». Lorsqu’elle publie son autobiographie, sa fille Lumir (Juliette Binoche) revient de New York à Paris avec son mari (Ethan Hawke) et leur fille, Charlotte. La rencontre entre mère et fille se transformera rapidement en confrontation et règlements de comptes révélant de nombreux non-dits enfouis dans les souvenirs du passé : les vérités seront révélées, les comptes seront réglés, les amours et les ressentiments avoués.
Dans une savoureuse mise en abîme, mettant Catherine Deneuve dans le rôle d’une immense actrice, adulée et reconnue par tous mais confrontée à l’accension d’une nouvelle égérie deux fois plus jeune qu’elle, Manon Lenoir, à qui elle doit donner la réplique dans le film qu’un jeune cinéaste tourne actuellement, Fabienne est assaillie de doutes et de questionnements quant à sa carrière et sa vie privée. A quelques exceptions près – une promenade avec le chien, quelques coupes de vin pour embrasser le gendre, une chute fortuite sur le plateau, une tentative, coiffée d’une perruqueue, de fuite avec son chauffeur, manger une crêpe pour éviter d’aller aux studios, Fabienne semble vivre dans un havre de paix, dans un hôtel particulier, isolé et entouré d’arbres et de plantes, en plein Paris, dans un univers préservé des vicissitudes du monde extérieur à l’image de la vie que Fabienne souhaite présenter au public dans lilivre qu’elle vient de publier, « Ses mémoires ».
Brossant des portraits contrastés avec de subtiles nuances, Kore-eda offre une palette de l’humanité réunie quelques jours dans l’univers confiné de cette demeure : un insolite yankee acteur d’une série télévisée et sa femme française, scénariste « car elle raté sa carrière d’actrice », selon les mots de sa mère, leur fillette à la chevelure blonde qui croit que sa grand-mère est une sorcière capable de transformer les animaux en humains et vice versa, telle la tortue censé être le grand-père Pierre. Autour de Fabienne gravite le majordome Luc, servile et polyvalent et le dernier l’ex-mari, fauché mais toujours de bonne humeur qui débarque à la maison.
Sur la table, la caméra de Kore-Eda révèlent quelques copies de la biographie officielle de la femme qui vient d’être imprimée. Fabienne est une diva absolue. Elégante, vaniteuse, amicalement présomptueux, royalement despote. Et surtout, comme le souligne Lumir, elle a raconté plusieurs mensonges sur la façon dont elle s’est comportée avec amour en tant que mère quand sa fille était petite. Fabienne doit aussi commencer le tournage d’un film entièrement féminin où elle deviendra pendant quelques instants sur scène même la fille (vieille) d’une autre jeune star émergente. Mais dans les échanges de Fabienne avec Lumir planent toujours les souvenirs et le spectre de Sarah, une actrice disparue qui s’est occupée de Lumir comme si c’était sa propre fille.
On se souvient de la Palme d’Or à Cannes en 2018 avec Une affaire de famille et l’incroyable capacité de Kore-eda d’ausculter, voire d’autopsier les arcanes familiales et leur part d’ombre.
Dans La vérité, c’est le noyau des relations féminines au coeur de la famille qui camouflent sournoisement les tensions et soulignent l’importance de tous les hommes malgré le peu de considération que Fabienne leur accorde.
Kore-eda ne sombre jamais dans l’explosion des émotions, à grand renfort de cris et de pleurs : ici, tout est subtil et délicat, évoluant avec douceur vers autour de la possible «vérité» transmise par Fabienne : une femme qui semble détaché, en apparence, conservant constamment un aspect élégant et glacial, gardant enfouies les émotions de sa vie pour pouvoir «agir» au mieux au cinéma sans rendre à sa fille une once de sentiment comme à ses nombreux maris. Y compris dans une scène où les spectateurs comme Lumir pensent enfin que Fabienne exprime ses sentiments à sa fille, l’enlaçant avec tendresse mais réalisent que c’est l’actrice qui joue et non la mère qui s’exprime. Encore une malicieuse mise en abîme du cinéaste qui ne cesse de surprendre son public !
Le réalisateur a exprimé sa joie d’être retenu pour l’ouverture de la Mostra :
Je suis ravi que mon nouveau film La vérité ait été sélectionné à l’ouverture de la compétition au Festival de Venise. Je suis extrêmement honoré. Je voudrais exprimer ma sincère gratitude à tout le personnel de la Mostra de Venise. Le tournage a eu lieu l’automne dernier à Paris durant dix semaines. Comme on l’a déjà annoncé officiellement, la distribution est prestigieuse, et le film raconte une petite histoire de famille qui se développe principalement dans une maison. C’est dans ce petit univers que j’ai essayé de donner vie à mes personnages par leurs mensonges, leur orgueil, leurs regrets, leur tristesse, leurs joies et leurs réconciliations. J’espère sincèrement que vous apprécierez le film.
Alberto Barbera, directeur du festival, a expliqué ce choix ainsi:
Pour le premier film tourné hors de son pays Kore-eda a eu le privilège de pouvoir travailler avec deux grandes stars du cinéma français. La rencontre entre l’univers personnel de l’auteur japonais le plus important du moment, et deux actrices aussi aimées que Catherine Deneuve et Juliette Binoche, a donné lieu à une réflexion poétique sur la relation mère-fille et le métier complexe d’actrice, qui sera un plaisir à présenter en ouverture du festival.
Présenté ce matin à la presse, La vérité est présentée en première mondiale le mercredi 28 août dans la Sala Grande du Palazzo des Cinema au Lido di Venezia.
Firouz E. Pillet, Venise
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