Nos otages (Und morgen seid ihr tot) de Michael Steiner retrace la captivité d’un jeune couple suisse aux mains de talibans – rencontre avec Daniela Widmer, Michael Steiner et Morgane Ferru
Présenté en première mondiale au Festival de Zurich en automne 2021 puis aux 57ème Journées cinématographiques de Soleure, Und morgen seid ihr tot, de Michael Steiner, puise dans les journaux de Daniela Widmer et retrace la captivité du jeune couple helvétique en prise aux talibans du Waziristan.
« Comment pouvez-vous être si stupide et laisser les talibans vous kidnapper ? Pourquoi être allés dans de telles régions ? Vous n’aviez qu’à visiter le Toggenburg ! »
C’est en ces termes haineux et moralisateurs que la presse suisse a accueilli le couple de jeunes voyageurs helvétiques Daniela Widmer et David Och lors de la conférence de presse organisée à leur retour. Un retour tant attendu par ce jeune couple de routards partis avec leur minibus VW sur l’ancienne Route de la Soie, à la découverte de l’Asie, en particulier de l’Iran, de l’Inde et du Pakistan. Sur leur chemin de retour vers la mère patrie, ils sont tombés entre les mains des talibans dans le nord du Pakistan, en 2011, et y sont restés captifs huit mois, 259 jours très exactement.
Malheureusement pour eux, l’attaque a eu lieu dans une zone considérée comme relativement sûre par les experts mandatés par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). De plus, les otages n’ont été emmenés qu’ensuite au Waziristan, une région frontalière alors sous le contrôle des talibans. Ces deux éléments ont amené des experts de la région à affirmer qu’il était impossible de fuir des geôles des extrémistes dans cette région, ceci d’autant plus par « lune noire ». Bref, le jeune couple a été accueilli par une presse hostile, dubitative, qui relayait des affirmations erronées – selon la NZZ, puis repris par le Blick, Daniela serait tombée enceinte en captivité et aurait laissé son enfant sur place pour faciliter leur fuite -, et a dû faire face à des réflexions cyniques et des jugements qui les cataloguaient d’irresponsables et dénigrant complètement leurs traumatisme.
Les réactions des médias suisses ont scandalisé le réalisateur Michael Steiner qui nous avait séduit avec Mein Name ist Eugen (2005), Grounding (2006) et Le merveilleux voyage de Wolkenbruch (2018) d’après le best-seller zurichois éponyme. Michael Steiner veut redonner une légitimité au récit du couple mis à mal par les journalistes et est bien décidé à porter sur le grand écran la prise d’otages et les huit mois de captivité de Daniela et de David mais il peine à trouver les financements. Après plusieurs années de recherches, Michael Steiner peut enfin poursuivre son projet et le film voit le jour.
En collaboration avec le scénariste Urs Bühler, Michael Steiner puise dans le journal de Daniela, publié sous le titre Und morgen seid ihr tot : 259 Tage als Geiseln der Taliban, édité chez DuMont Buchverlag, Köln, en 2013. Pour restituer la terrible expérience des deux jeunes otages suisses, Michael Steiner a choisi de centrer son film sur l’expérience de la captivité qui fut un calvaire tant sur le plan physique que sur le psychique des otages.
Le film de Michael Steiner restitue avec une émotion poignante les conditions de l’enlèvement, de la captivité, des échanges avec les geôliers, des transferts, le tout dominé par un redoutable sentiment d’incertitude, d’autant plus oppressante que le temps est une notion qui n’appartient pas à la culture des ravisseurs. Une scène du film, particulièrement, forte, souligne ce paradoxe alors que l’un des talibans donne une montre au couple afin qu’ils puissent mieux supporter le temps, ou l’absence de temps, devrait-on dire, dans ce royaume de l’intemporalité.
Le cinéaste a su montrer le crescendo inéluctable des tensions au sein du couple qui tente de garder espoir malgré l’absence de contact avec leurs familles et d’informations sur ce qui se passe dans le monde. D’ailleurs, les troupes américaines viennent d’éliminer Ben Laden mais les otages suisses l’ignorent … Une telle épreuve a mis en péril la stabilité du couple : Daniela Widmer et David Och se sont séparés peu de temps après leur retour mais sont restés amis.
La complexité des relations entre les otages et les ravisseurs est développé avec acuité et justesse, en laissant transparaître au fil des mois le Syndrome de Stockholm qui apaise les relations : Daniela et David font des parties de cartes de Uno dans la cour intérieure avec un jeune taliban censé les garder enfermés.
Les ravisseurs islamistes sont représentés par une palette de nuances qui vont bien au-delà de l’idéologie religieuse : la pauvreté des habitats et des repas est compensée par l’hospitalité coutumière des Pachtounes.
Lors de leur venue à Lausanne pour l’avant-première du film, j:mag a rencontré le réalisateur Michael Steiner, Daniela Widmer, otage des talibans et l’actrice qui interprète son rôle, Morgane Ferru, au Lausanne Palace par un samedi ensoleillé de fin janvier 2022, à la veille de la sortie du film sur les écrans helvétiques.
Rencontres:
Daniela Widmer
Morgane Ferru
Michael Steiner (en anglais)
Firouz E. Pillet
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