Pessac 2021 : L’Algérie sous Vichy, de Stéphane Benhamou, rappelle des chapitres méconnus de l’histoire française
De l’été 1940 à l’été 1943, l’Algérie française se donne avec enthousiasme à la révolution nationale voulue par Pétain. Ce dont de nombreux Européens d’Algérie rêvent depuis longtemps s’accomplit : rétablissement de l’ordre colonial, mise au pas des populations indigènes et abrogation du Décret Crémieux qui, en 1870, avait fait des Juifs d’Algérie des citoyens français. Cette mesure d’épuration n’a cessé d’être réclamée : enlever leurs droits aux Juifs, c’est signifier à d’autres, les musulmans, qu’ils n’ont plus à espérer en obtenir.
S’inspirant de L’Année des dupes, Alger 1943 de Jacques Attali (Fayard, 2019), le film de Stéphane Benhamou parcourt ce chapitre méconnu, souvent censuré de l’histoire de France, plus précisément de la France coloniale et des départements français d’Algérie durant la Seconde Guerre mondiale, en particulier sous le régime de Vichy qui marchait main dans la mai avec le Troisième Reich, appliquant avec zèle les exigences du Führer. « Une anomalie de l’histoire qui n’a rien d’un accident ! »
1943 sonne le glas des droits civiques et de la citoyenneté française des Juifs d’Algérie. Dès 1943, les autorités française en place en Afrique du Nord s’appliquent exécuter les ordres du Maréchal Pétain, excluant les enseignants et les enfants de confession hébraïque des écoles de la République, expropriant les propriétaires terriens depuis plusieurs générations, interdisant l’accès aux emplois de fonctionnaires, créant un service de l’aryanisation économique, instaurant des « camps d’éloignement pour les personnes indésirables », plantant des panneaux qui interdisant l’accès aux plages aux indésirables : « Interdit aux chiens, aux chevaux, aux Juifs et aux Musulmans » … Et figeant les mesures de restitution de terres et des propriétés des Juifs après l’armistice.
Le documentaire de Stéphane Benhamou révèle avec effroi que les communautés juives d’Algérie subirent des discriminations appliquées avec méthodologie et de manière plus intense qu’en France métropolitaine, culminant durant les trois années de domination pétainiste en Algérie. Il alterne les images d’archives, quelques séquences animées pour illustrer les témoignages des enfants juifs de l’époque et les explications de nombreux spécialistes comme Benjamin Stora, historien, spécialiste de l’Algérie et professeur des universités, Sylvie Thénault, historienne et spécialiste de la colonisation en Algérie, Jean Laloum, historien et spécialisé de l’aryanisation économique en Algérie, Jacob Oliel, historien des camps et des témoins qui ont connu empiriquement ces mesures comme Alain Chouraqui, Président-Fondateur de la Fondation du Camp des Milles, Simone Sixou, écolière à Saïda en 1941, Clémence Halimi-Zaradez, témoin des émeutes anti-juives de Constantine, Christine Levisse-Touzé, historienne et auteure de L’Afrique du Nord dans la guerre.
À travers la présentation chronologique des mesures prises envers les Juifs d’Algérie, les spectateurs découvrent avec surprises que deux gouvernements français successifs retirèrent leur citoyenneté aux Juifs d’Algérie : d’abord le gouvernement collaborant avec les nazis à travers un chapitre qui figure dans tous les manuels d’histoire ; puis un chapitre connu qui nous rappelle que les autorités françaises en Algérie ont collaboré avec les Américains pour maintenir les Juifs d’Algérie dépouillés de leur nationalité française et de leurs droits. Une période qui a ôté aux communautés indigènes musulmanes tout espoir d’accéder au statut de citoyens français bien que sous occupation française depuis 1830. Ainsi, les Juifs d’Algérie découvrent l’injonction de porter des étoiles jaunes et de nombreux hommes sont enfermés dans des camps d’éloignement au centre du Sahara, dans la région de Sidi Bel Abbès.
Ce documentaire passionnant narre également le premier débarquement des troupes anglo-américaines en terres françaises pendant la Seconde Guerre mondiale; Jacques Attali souligne que l’on ne commémore ce débarquement puisque « des troupes françaises y combattirent des troupes américaines ». Le film de Stéphane Benhamou est salutaire et nécessaire car il fait renaître de ses cendres un chapitre de l’histoire autant française qu’internationale savamment enfoui dans les oubliettes de la mémoire de l’humanité, qui met en scène des « vichystes pro-américains, des Américains pétainistes, des résistants maréchalistes », qui s’affrontent dans l’Algérie française, bafouant et sacrifiant les populations autochtones.
Appliquant scrupuleusement les requêtes de l’Allemagne nazie, les dirigeants français espèrent faire d’une pierre deux coups car ils redoutent que de permettre aux Juifs d’être français amène tous les Algériens à revendiquer le même statut et les mêmes droits. Ce documentaire amène à réfléchir sur les notions de citoyenneté, de nation, de nationalité, d’identité, des questions qui résonnent intensément avec l’actualité, en particulier avec la situation des réfugiés qui s’amassent aux frontières entre la Pologne et la Biélorussie.
Le Festival international du Film d’Histoire de Pessac permettra aux festivaliers de découvrir ce documentaire captivant qui sera aussi présenté en avant-première le jeudi 18 novembre 2021, à 19h30 au Mémorial de la Shoah, à Paris.
L’Algérie sous Vichy, de Stéphane Bemhamou, concourt pour le Prix du film d’histoire 2021 dans la catégorie Documentaires inédits.
Firouz E. Pillet
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