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Pessac 2021 : L’histoire oubliée des femmes au foyer, de Michèle Dominici, révélée par leurs journaux intimes

Ce jeudi 18 novembre, le Festival du film d’Histoire de Pessac a présenté le documentaire de la réalisatrice Michèle Dominici, intitulé L’histoire oubliée des femmes au foyer, un film qu mêle la grande histoire des Trente Glorieuses avec la petite histoire, intime, familiale, maintenue confidentielle dans l’antre des foyers français. À travers ce microscope de la société des années cinquante aux années septante, Michèle Dominici souhaitait « rendre leur intelligence et leur voix aux femmes aux foyers ».

L’histoire oubliée des femmes au foyer de Michèle Dominici
Image courtoisie Festival international du Film d’Histoire de Pessac

Même si les férus d’histoire qui fréquentent le festival de Pessac savent que les femmes étaient une force de travail à l’extérieur du foyer, le documentaire de Michèle Dominici rappelle avec moult exemples que la notion des femmes au foyer a émergée au XIXe siècle avec la révolution industrielle car avant, « tout le monde travaillait pour la famille mais le gain de productivité a été évalué au sein des classes moyennes et des métiers des intermédiaires comme les clercs, les ingénieurs, les cadres, des milieux professionnels au sein desquels l’homme pouvait entretenir Madame qui restait ainsi à la maison, ce qu’un ouvrier ne pouvait pas faire; la femme au foyer, c’est un personnage de la classe moyenne ».

Pour illustrer son analyse sociologique du sujet, un sujet qui s’inscrit par essence dans les études genres (gender studies) dont on ne parlait pas à l’époque, L’histoire oubliée des femmes au foyer est constitué d’extraits de journaux intimes et d’images privées.

Le sujet est né d’une discussion entre sa réalisatrice, Michèle Dominici, et sa propre maman. Quand la documentariste a proposé à sa mère d’écrire ses mémoires, celle-ci lui a donné un cahier qui relatait son existence de sa naissance au jour de son mariage. Michèle Dominici, a alors questionné sur cet abrupt arrêt de son journal intime et sa mère a rétorqué : « Parce que ce n’est pas intéressant ».

Cette réponse coule de source pour la mère de Michèle Dominici, tant le modèle de la femme au foyer est inscrit dans la représentation sociale: inexistante sur le marché du travail, accomplissant un travail de titan pour tenir sa maison sans aucune reconnaissance de la part de son époux, considérée par les législateurs comme une mineure puisque dépendante du bon vouloir et de l’accord de son mari pour être autorisée à ouvrir un compte en banque ou travailler; cette épouse parfaite, docile, formée pour accomplir toutes les tâches ménagères – qui ne sont pas assimilable au travail de leurs époux, bien évidemment ! – tout en tout en vivant sereinement ses grossesses et  s’occupant des enfants sans jamais ne manifester aucun signe de fatigue.

La société des Trente Glorieuses ne s’offusque pas que ces femmes au foyer demeurent invisibles mais, au regard des acquis des femmes depuis les années septante et quatre-vingts, cette invisibilité des femmes au foyer des Trente Glorieuses est d’une extrême violence. L’histoire oubliée des femmes au foyer ne fait pas partie des manuels d’histoire dans l’enseignement public. Ainsi, Michèle Dominici s’est plongé dans les carnets intimes d’Anna, Francine ou encore Ruby, faisant voyager les spectateurs dans le temps au cœur du quotidien de millions de femmes dans l’Hexagone de l’Après-Guerre.

Après la guerre et ses années de disette, il fallait relancer l’économie et donc consommer : l’industrie de l’électroménager a bien compris proposant à la fois sur les affiches et dans les revues spécialisées, destinées aux femmes, des publicités colorées où posaient des femmes bien maquillées, vêtues d’une jolie robe coquette, portant un petit tablier tout aussi mignon que sa tenue mais peu fonctionnel, chaussées de hauts talons, des femmes qui apparaissent toutes pleinement épanouies devant le dernier lave-linge ou le nouveau four, des appareils électroménagers censés lui faciliter les tâches ménagères en lui apportant une immense satisfaction existentielle.

Cependant, à travers le documentaire de Michèle Dominici, on voit des femmes au foyer « qui ne réalisent pas leur chance » puisqu’elles commencent leur journée à six heures du matin pour préparer les habits et le petit-déjeuner des enfants à temps pour l’école, enchaînant aussitôt les lessives pour ensuite les suspendre à l’extérieur sur des fils avant de repasser pendant plusieurs heures, poursuivant en époussetant, balayant, passant la serpillière tout en préparant les repas à la fois pour midi et pour le soir; comme le montre un film amateur (familial), quand le mari, affalé dans un fauteuil de salon, fume sa cigarette et répond à sa fille aînée qui l’interroge sur ce qu’il attend de sa femme :

C’est qu’elle soit toujours aimable, de bonne humeur parce qu’elle n’est pas fatiguée par huit heures de travail au bureau et les trajets en métro comme moi.

Contrairement à nombre d’idées reçues, ces femmes avaient pour la plupart suivi une formation , fait des études mais n’ayant aucune existence en tant que célibataire dans les années d’Après-Guerre, elles se marriaient pour avoir un statut social et se retrouvaient derrière les fourneaux et les bassines mais il ne fallait surtout pas qu’elles se plaignent !

La caméra de Michèle Dominici nous permet de rentrer dans l’intimité de ces femmes au foyer laissées-pour-compte, occultées par la société qui, souvent, les prennent pour des idiotes, ce que nous révèlent les textes des journaux intimes, des confidences souvent poignantes, bouleversantes, relatées par la documentariste avec beaucoup de finesse et de nuances.

Pour ces femmes au foyer qui se sont consacrées à leur mari et à leurs enfants, l’avenir n’offre aucun espoir car le jour où les enfants quittent le nid et que le mariage s’use, il est presque impensable qu’elles puissent franchir le pas pour retourner dans marché du travail. Dès le début des années septante, les mouvements féministes vont rebattre les cartes et commencer à remettre en cause la condition de la femme au foyer.

À la lecture des journaux intimes de ces femmes au foyer très clairvoyantes sur leur condition, les spectateurs prennent conscience de la charge mentale que vivent ces femmes, une charge mentale d’autant plus choquante pour les contemporaines. Michèle Dominici explique :

Les images qui restent de ces femmes sont historiquement heureuses et je voulais déconstruire les mythes visuels qui sont encore dans les inconscients collectifs.

Petit à petit, la condition de la femme s’améliore et pourtant, dans certains pays, leurs droits semblent remis en question, voire bafouées, comme récemment en Pologne qui a interdit le droit à l’avortement. Le film de Michèle Dominici apparaît donc comme nécessaire, primordial et devrait être projeté dans les écoles, les collèges, les lycées et être vu par toutes les générations et tous les genres confondus.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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