Pessac 2022 : Gisèle Halimi, la cause des femmes, de Cédric Condon, retrace le parcours courageux de l’avocate engagée, de la militante féministe et de la femme politique, entre ses combats et ses victoires
Quelque deux ans après sa disparition, Gisèle Halimi demeure une référence pour les femmes qui ont connu son remarquable parcours, ses combats menés avec pugnacité et ses victoires obtenues au grand dam d’un patriarcat encore bien vivace dans la seconde moitié du vingtième siècle.
Le documentaire que lui consacre Cédric Condon paraît plus que jamais nécessaire à l’heure où des acquis, obtenus difficilement, tels le droit à l’avortement et la reconnaissance du viol comme un crime, semblent remis en question sous de nombreuses latitudes à travers le monde, dont dans certains pays européens.
Gisèle Halimi, la cause des femmes, de Cédric Condon, relate l’histoire d’une femme, d’une insoumise, d’une rebelle qui a pris conscience dès son plus jeune âge de la différence de traitement entre filles et garçons, découvrant que son père a caché sa naissance pendant quinze jours. Gisèle comprendra que l’attitude paternelle découle de la culture nord-africaine qui considère qu’être une femme dans cette société est une malédiction. Ses trois fils – Serge Halimi, Jean-Yves Halimi, Emmanuel Faux – soulignent qu’avant de se battre pour les autres, la jeune Gisèle doit se battre pour elle-même. La petite Gisèle devait servir et choyer ses frères, les enfants préférés des parents, et célébrer leurs résultats scolaires, ce qui arrivait peu souvent vu qu’ils n’étaient pas bons élèves. Gisèle, enfant, a énormément souffert du rejet parental et du manque d’amour de sa mère, juive très pieuse, très superstitieuse et très croyante, fille de rabbin, qui appliquait méticuleusement la religion juive séfarade qui excluait complètement les filles et « qui en rajoutait » à l’égard de Gisèle. Des filles considérées comme une charge et qu’il fallait rapidement marier ! Gisèle Halimi constate :
« Je n’ai jamais senti que ma mère m’aimait, ni en mots ni en gestes. »
Devant ces injustices, Gisèle entame une grève de la faim et malgré les gifles que lui assènent ses parents, elle les fera céder, poursuivant sa grève de la faim jusqu’à ce que ses parents la traitent comme ses frères. Ses parents supprimeront l’obligation de tâches ménagères à l’attention de ses frères ; Gisèle écrit :
« Aujourd’hui, j’ai gagné ma première part de liberté. »
Cette première victoire va aiguiser sa conscience face aux injustices.
Née à la Goulette, en Tunisie, Zaïza Gisèle Taïeb est née juive, pauvre, colonisée et femme, « quatre dominations » qui seront à l’origine de sa rébellion. Face au patriarcat et face à la glorification des garçons, la petite fille se révolte et dit non. Non au patriarcat, non à la domination des hommes, non à ces différences de traitements ! À quinze ans, ses parents la promettent à un riche marchand d’huiles de vingt ans son aîné, mais Gisèle refuse ce mariage arrangé, déclarant vouloir faire des études, car elle sent très tôt que « la connaissance, surtout pour les femmes, c’est le premier pouvoir ».
Les études secondaires étant payantes, Gisèle décroche une bourse pour accéder au lycée et s’instruit par ses très nombreuses lectures, bien que son père confisque les livres, ne voyant pas l’intérêt pour une fille de s’instruire. Ses parents sont terrifiés par ces lectures qui lui donnent les outils pour forger sa volonté d’aller vivre ailleurs. Quand la seconde Guerre mondiale éclate, le régime de Vichy est instauré en Tunisie : à la tête d’un commando, Gisèle escamote le portrait de Pétain qui trône dans les classes, ce qui lui vaudra une exclusion de quinze jours. Le baccalauréat en poche, Gisèle débarque en France et s’inscrit à la faculté de droit.
Avocate durant la guerre d’Algérie, la féministe dénonce la torture, les viols que l’armée française exerce sur les indépendantistes algériennes et défendra la jeune Djamila Boupacha, jeune fille à qui on attribue la pose d’une bombe qui n’a pas explosé. Djamila Boupacha, musulmane pratiquante, vierge, sera violée avec des bouteilles par les soldats de l’armée française ! Dix ans plus tard, dans les années septante, Gisèle Halimi incarne le combat pour le droit à l’IVG.
Toujours avec aplomb, inébranlable et vaillante face aux attaques des conservateurs, Gisèle Halimi défend la jeune Marie-Claire, une mineure jugée pour avoir avorté illégalement, avec l’aide de sa mère, après avoir été violée. L’avocate obtient la grâce de sa cliente au Procès de Bobigny, qui fera jurisprudence, terrassant la loi qui interdit aux femmes de disposer de leur corps. Mais cette victoire déclenche des réactions d’une extrême violence à l’égard Gisèle Halimi qui affronte les attaques, les crachats, les menaces de mort de la part de nombre d’hommes et le mépris de la justice à l’égard des femmes violées, des réactions qui provoquent un véritable séisme dans la société française.
Le documentaire de Cédric Condon rappelle que grâce à Gisèle Halimi, le viol est enfin reconnu comme un crime. Dans les années quatre-vingts, un sondage la désigne comme l’une des femmes les plus influentes de France. Elle décide d’entrer dans l’arène politique et s’attaque à un combat de fond : la parité hommes-femmes. À la fin des années nonante, elle prend position quand des collégiennes arrivent voilées dans l’école laïque de Jules Ferry, déclarant que d’ « accepter le voile dans l’école de la République ouvre les portes à la répudiation et à la polygamie. » Souvent seule, toujours déterminée et pugnace, Gisèle Halimi a lutté toute sa vie pour la cause des femmes.
Ce documentaire présente les passionnants témoignages de ses trois fils, de Jean-Pierre Chevènement, des images d’archives sur son amitié avec Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, aux côtés de Lionel Jospin, de Simone Veil, de Jacques Chirac, de Roseline Bachelot et de François Mitterrand qui fera mine de soutenir ses combats mais auquel Gisèle Halimi reprochera
« d’avoir oublié la cause des femmes puis trahi la gauche, emboîtant le pas aux Américains dans la Guerre du Golfe, non pas pour défendre les libertés, mais au nom du pétrole. »
Gisèle Halimi, la cause des femmes soulève diverses questions sur son parcours étonnant et remarquable : pourquoi cette avocate est-elle devenue la grande stratège du féminisme ? Comment a-t-elle embrassé la plus grande révolution sociale et politique de notre époque : l’émancipation des femmes ?
Puisant dans son enfance, dans sa culture, dans son milieu social et religieux, le documentaire de Cédric Condon apporte des réponses éclairées qui expliquent comment cette femme insoumise qui a osé dire « Non » au patriarcat, aux traditions, à la domination des hommes, a pu œuvrer avec force et conviction dans la défense des indépendantistes algériennes à la parité en passant par le droit à l’IVG et la pénalisation du viol. À l’heure où ces acquis sont remis en question, voire bafoués, ce documentaire souligne comment Gisèle Halimi a initié et accompagné la plus grande révolution sociale et culturelle du second XXe siècle : l’émancipation des femmes.
Depuis plus de deux décennies, Cédric Condon réalise des documentaires aux formes variées : des films entièrement constitués d’archives, des récits en images mêlant interviews et écriture documentaire avec fictions. Le réalisateur a reçu le Prix du Public à Pessac en 2013 pour son film Le Procès du viol. Gisèle Halimi, la cause des femmes est présenté dans la section « Panorama du documentaire 2022 ».
Le 32ème Festival du film d’histoire se déroule au Cinéma Jean Eustache, à Pessac, du 14 au 21 novembre 2022.
Firouz E. Pillet
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