Pessac : « Anne Morgan, une Américaine sur le front », documentaire de Sylvain Bergère, révèle l’action méconnue d’Américaines volontaires et bénévoles, venues aider le Nord de la France à se reconstruire
Sylvain Bergère, réalisateur et documentariste, a abordé des sujets très variés : La Hongrie de Peter Nadas & Peter Esterhazy (2013), Apple : La tyrannie du cool (2011), Portrait d’Helena Almeida (2010), Portrait de Robert Combas (2009), Faut-il avoir peur de Google (2007), entre autres. Son dernier documentaire, Anne Morgan, une Américaine sur le front (2017), fait la lumière sur une figure féminine méconnue, Anne Morgan, et son action exemplaire.
En 1917, dans le Nord de la France dévasté par la guerre, des volontaires américaines vont s’atteler à soulager les populations civiles, les soigner, leur apporter aide matérielle et soutien moral. À leur tête, Anne Morgan, femme libre et fille du richissime banquier John Pierpont Morgan, qui, au grand dam de sa famille et de son milieu, part, sur la base du volontariat et du bénévolat, aider les populations françaises en pleine Grande Guerre. L’action de ces femmes sera photographiée et filmée, livrant un témoignage inédit et captivant de cette époque.
Née en 1873, fille du magnat de la finance J. P. Morgan, Anne Morgan aurait pu n’être que le produit d’un “Gilded Age” américain ayant fait la fortune de sa famille. Pourtant, femme énergique et conquérante, aux mœurs libres qui choquent les bien-pensants, elle va choisir de suivre une voie bien différente de celle que sa famille espérait pour elle. À New York, elle participe d’abord à la fondation du “Colony Club”, réservé aux femmes, soutient une grève des travailleuses du textile, rencontre Elisabeth Marbury, première femme impresario et Elsie de Wolfe, actrice et décoratrice. Ensemble, elles séjourneront en France avant-guerre à la villa Trianon, près de Versailles. Elles connaissent la haute société américaine à Paris ainsi que la française. Son père décède en 1913 ce qui fait d’elle la plus riche héritière du monde et pour rester indépendante et libre elle refuse plusieurs demandes en mariage.
En septembre 1914, Anne Morgan et ses comparses se rendent sur le champ de bataille après la bataille de la Marne. Elles en font un récit pour leurs compatriotes. Elles se rendent aux États-Unis pour commencer à collecter des fonds pour les victimes européennes de la guerre. découvre les horreurs du conflit et décide de “sauver la France de la barbarie” et de la menace du nazisme. Dans une Amérique isolationniste, elle fonde avec Elizabeth Lathrop l’American Fund for French Wounded (AFFW). Anne Morgan en devient trésorière. Cette association fournit les hôpitaux et les ambulances en matériel médical et envoie des colis aux soldats. Lorsque les États-Unis entrent en guerre, elle s’installe en Picardie pour y aider la population : ses volontaires américaines ouvrent à Blérancourt un dispensaire, sillonnent les territoires dévastés pour porter secours, au volant de Ford T et de camions qu’elles conduisent et réparent elles-mêmes. Le documentaire de Sylvain Bergère dévoile des images d’archives surprenantes qui révèlent ces jeunes femmes couchées sous les châssis, déboulonnant et réparant les voitures à une époque où les femmes de la bourgeoisie savouraient des scones et du thé dans des salons calfeutrés.
Au début de 1916, Anne Morgan et Elsie de Wolfe reviennent en France et transforment la villa Trianon en une maison de convalescence pour soldats. Anne Morgan élargit l’action de l’AFFW en créant une section civile pour aider les populations du front, le Comité américain pour les régions dévastées (CARD), en anglais l’American Comitee for Devastated France qui a pour but de venir en aide aux sinistrés et victimes de la guerre; elle emploie jusqu’à plusieurs centaines de personnes (volontaires français ou étrangers) et intervient dans différents domaines (santé, logement, loisirs, éducation, etc.). . La présidente en est Anna Murray Dike (1878-1929), médecin canadienne d’origine écossaise proche d’Anne Morgan. Les américaines volontaires dans le CARD doivent venir avec leur voiture individuelle et avoir de quoi subvenir à leurs besoins. Le financement est assuré par la fortune personnelle d’Anne Morgan mais aussi grâce à de nombreux dons, notamment de la part d’américains mobilisés au sein d’une association.
Lorsque la guerre prend fin en 1918, Anne Morgan estime que l’aide doit se poursuivre, auprès d’une population choquée, dans une région “où l’on peut rouler pendant quinze heures et ne voir que ruines”. Le CARD, comité US pour les régions dévastées, entreprend de soigner les enfants, d’offrir aux familles le bétail qui permettra de se nourrir, d’ouvrir des bibliothèques et d’offrir des activités sportives. Pour financer ces actions, Anne Morgan misera sur les images – photographies et films – qui sensibiliseront les donateurs outre-atlantique, nous offrant aujourd’hui un portrait original et poignant de ce peuple français démuni et de la générosité de ces jeunes américaines.
Son action d’Anne Morgan en faveur de l’aide aux sinistrés en France durant les deux guerres mondiales est connue des habitants de la Picardie comme le souligne une spectatrice, native de cette région, à l’issue de la projection.
Après la guerre, cette organisation participe activement à la reconstruction de la région en fondant l’association L’Hygiène sociale de l’Aisne (HASA) qui emploie des françaises recrutées à la Maison de santé protestante de Bordeaux dirigée par le docteur Anna Hamilton. En 1924, elle fonde le « Musée historique franco-américain » dans le château de Blérancourt ; ce dernier et ses collections seront ensuite données à la ville de Blérancourt et deviendra en 1931 le Musée national de la coopération franco-américaine. En 1932, elle est la première femme américaine à devenir commandeur de la Légion d’honneur, dont elle était décorée depuis 1924.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1939, Anne Morgan revient en France dans l’Aisne pour aider la population. Elle organise et préside le comité American Friends of France (IMNC) aux États-Unis et le Comité américain de secours civil (CASC), le 30 septembre 1939. Le dernier séjour d’Anne Morgan en France se faiten 1947.
Firouz E. Pillet
Sources : Évelyne Diebolt, Jean-Pierre Laurant, Anne Morgan : une Américaine en Soissonnais, 1917-1952 : de l’Aisne dévastée à l’action sociale, Soissons, AMSAM, 1990, 175 p.
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