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Sortie de 9 doigts de F.J. Ossang en Suisse romande et Cycle Ossang à Genève

Sortie: jeudi 29 mars au cinéma Spoutnik à Genève, vendredi 30 mars au cinéma Bellevaux à Lausanne.

Jeudi 29 mars à Genève et 30 mars à Lausanne en présence de F.J. Ossang et d’Elvire

Cycle F.J. Ossang du 29 mars au 12 avril au Cinéma Spoutnik

L’artiste est inclassable – il s’est autant illustré dans l’écriture que dans la musique et le cinéma, débordant à chaque fois les genres. Très tôt, il se consacre à l’écriture et publie, à 17 ans, un premier recueil, Écorce de sang en résonance avec un mouvement punk naissant. Profondément marqué par ce courant musical antibourgeois, il crée deux groupes mêlant poésie aux musicalités froides. Il considère la musique comme un espace d’expression politique en rupture avec les injonctions de la société. Par la suite, Ossang s’intéresse au cinéma et s’attache tout autant à revisiter les codes des films de genre qu’à leur rendre hommage, particulièrement à travers leur esthétique.

Le Spoutnik présente 5 de ses 6 longs métrages, dont L’Affaire des divisions Morituri (1985), son premier long qui donne le ton de sa vision punk du monde.
Programme

Pour 9 doigts, présenté au festival de Locarno 2017, F.J. Ossang a reçu le prix de la meilleure réalisation.

9 doigts

Dans un noir et blanc au plus bel effet expressionniste qui s’exprime avec force dans les ombres autant que dans les cadrages multipliant les points de vue, les plongées et contre-plongées, le film se joue du spectateur en l’immergeant dès les premières séquences dans un monde sans âge, rappelant tout à la fois les films noirs comme ceux d’espionnage ou de résistance de la Deuxième guerre mondiale.

— Lionel Tua, Paul Hamy – 9 doigts
© Capricci Films

Magloire (Paul Hamy), dans une gare, sous la pluie, cherche à éviter un contrôle par des hommes armés et en uniformes. Dans sa fuite, il tombe par hasard sur un homme mourant qui lui remet un petit paquet. Des hommes se mettent à ses trousses, le capturent, l’amènent dans une maison isolée, habitée par le reste de la bande à laquelle appartiennent également deux femmes. Faisant ses preuves, Magloire est intégré à la bande commandée par Kurtz (Damien Bonnard). Après un casse qui tourne mal, la troupe embarque sur un drôle de bateau avec pour bagages une valise contenant un produit radioactif.

Lionel Tua, Elvire, Damien Bonnard, Alexis Manenti – 9 doigts
© Capricci Films

Souvent au cinéma, des collisions avec l’actualité immédiate se produisent, ici le trafic de polonium de la bande à Kurtz, qui tombe directement dans l’escarcelle de cette actualité en référence à l’affaire Skripal – Sergueï Skripal et sa fille ont été empoisonnés au novitchok, une substance neurotoxique qui coupe la connexion entre les muscles et le système nerveux et empêche la victime de respirer, le 4 mars 2018 à Salisbury – qui provoque en ce moment des remous diplomatiques inédits depuis la fin de la Guerre froide entre l’Europe et la Russie, cette affaire rappelant celle de l’opposant Alexandre Litvinenko empoisonné au polonium 210 en 2006 en Grande-Bretagne également.

Comme le dit lui-même le réalisateur, le film a été tourné un peu dans l’urgence, pour des raisons de budget difficile et long à boucler, ce qui a engendré le risque de faire tomber certaines subventions qui arrivaient à échéance. Cette urgence, et ce budget serré, se reflètent dans la structure du film, tourné en 35 mm – ce qui n’arrange rien aux difficultés financières et de tournage puisque le coût du choix de la pellicule restreint le nombre de prises – , avec une succession de courtes scènes et un montage narratif elliptique. Pour pimenter le tout, quelques effets surréalistes de miroirs, de couleurs en négatif, de prise d’une longue-vue.

Tout est (bien) fait pour parfaire l’illusion du film d’action, mais en réalité, il ne se passe pas grand-chose. Le tour de force est qu’il faut au spectateur un bon moment pour s’en rendre compte et accepter l’idée, comme doivent le faire les protagonistes, que le mouvement est illusion, qu’il est statique, ou du moins qu’il s’agit de tourner en ronds de plus en plus serrés autour du point névralgique de l’abîme, et et que tout ceci est moins une sombre histoire de malfrats qu’une lente et inexorable descente aux enfers, allégorie apocalyptique de l’état de l’humanité et de la planète. Plus le voyage sur le bateau se prolonge, plus les dialogues s’accroissent, semant méthodiquement le message – malheureusement parfois de manière un peu trop pontifiante et abscons. Florilège :

Je fais n’importe quoi pour survivre, comme les autres.

On n’a rien d’autre que la mort.

Dieu et le démon produisent les choses mais laissent le libre-arbitre aux hommes.

Il est trop tard pour les superstitions !

Ce qui fait tout c’est le génitif, pas l’ablatif.

L’esprit du temps commande.

Nous sommes des gangsters, mais eux ce sont des assassins.

Ne rien comprendre, voilà la clé !

Cependant, nous comprenons bien le propos, sorte de nécrologie environnementaliste claustrophobe, la planète étant vouée à ne plus être qu’un îlot de déchets et les humains à dériver sur une mer purgatoire en attendant d’être étouffés par leur propre poison.

Paul Hamy, Elvire – 9 doigts
© Capricci Films

En cours de périple, le bateau change de nom, d’équipage et est repeint… par des hommes en combinaison de protection. On peut changer le nom d’un bateau et lui remettre un coup de lustre, il n’en reste pas moins le même bateau sur lequel on navigue et le Nowhereland, la dernière plage où débarquer pour tenter d’échapper à cette force mortifère qui nous meut. Dans cette quête de survie, nous nous contaminons les uns les autres, nous devenons captifs du bateau sur lequel nous sommes tous, bateau qui finit par ressembler à un vaisseau-fantôme. Plusieurs fois, les protagonistes émettent le vœu pieux de débarquer « et tout recommencer ». L’idée du recommencement, comme celle du Zeitgeist, reviennent très régulièrement, l’espoir se fondant sur le Nowhereland, comme l’explique Ferrante (Pascal Gregory) à Magloire :

C’est une zone tampon. Tout est temporaire. Le Nowhereland fait exception à la chose : tout y recommence.

Et vous vous demandez certainement ce que sont au fond ces 9 doigts ! Ce sont ceux du mystérieux personnage qui commande cette aventure…

avec Paul Hamy, Damien Bonnard, Pascal Greggory,  Gaspard Ulliel , Lisa Hartmann , Lionel Tua , Elvire , Alexis Manenti , Diogo Dória ; France, Portugal; 99 minutes; 2017.

Malik Berkati

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