Sortie sur les écrans romands de Ma vie, ma gueule, le film posthume Sophie Fillières. Rencontre avec ses enfants, Agathe et Adam Bonitzer
Présents à Bienne lors de la vingtième édition du Festival du Film Français d’Hélvétie, les enfants de la scénariste, réalisatrice et actrice française, décédée le 31 juillet 2023, accompagnent la sortie du septième et ultime long métrage de leur mère.
Barberie Bichette (Agnès Jaoui), qu’on appelle à son grand dam Barbie, a peut-être été belle, peut-être été aimée, peut-être été une bonne mère pour ses enfants, une collègue fiable, une grande amoureuse, oui peut-être… Aujourd’hui, c’est le désert sentimental, c’est une communication bancale avec ses enfants, ce sont des doutes existentiels qui l’assaillent, c’est le regard violent que la société porte sur les femmes quinquagénaires. La crise qu’elle traverse lui semble absurde et le mutisme de son psy la terrifie : elle a cinquante-cinq ans (autant dire bientôt soixante, voire plus !). C’était inéluctable, une fatalité que l’on redoute dès les premières marques du temps sur un corps qui a vécu. Mais comment faire avec soi-même, avec la mort, avec la vie en somme…
Présenté en ouverture de la Quinzaine des Cinéastes en à Cannes mai dernier, Ma vie, ma gueule brosse le portrait à la fois brut et poétique d’une femme dans la cinquantaine, en proie à une crise existentielle qui l’isole dans une bulle, incomprise professionnellement, isolée socialement, en perte de repères et de certitudes. Agnès Jaoui porte sur ses épaules le film, évoluant en tant qu’alter ego cinématographique de Sophie Fillières, avançant tant bien que mal dans les méandres d’une tragicomédie qui ose aborder et afficher des questionnements et des peurs que les codes en vigueur dans la société bien-pensante incitent à taire.
« J’ai senti que mon temps est compté. Combien de douches avant la mort ? Je veux me souvenir de tout, à chaque instant. », lance la protagoniste. Le ton est donné dès l’ouverture du film. On découvre Barberie sous les traits d’une Agnès Jaoui qui n’a pas hésité à apparaître sans fard, au naturel, le visage fatigué, les traits tirés, les cheveux en pagaille, les lunettes de travers, le regard inquiet plongé dans l’écran de son ordinateur. Elle doit trouver un titre accrocheur pour entamer la rédaction d’un texte. Ce devrait être un exercice facile pour une publicitaire rodée à pondre des messages concis aux mots clinquants.
Mais le vertige de la page blanche s’empare de Barberie qui regorge de stratagèmes pour procrastiner : lambiner à choisir la bonne police de caractères, hésiter car l’une lui paraît anorexique, l’autre sobre. Barberie hésite aussi dans sa vie, fuyant les gens à commencer par une amie qui l’appelle et à laquelle elle coupe court lui indiquant être à la salle de sport alors qu’elle est dans ses pénates. Aller à la salle de sport mais rapidement y renoncer. Dans une vaine tentative de communication malhabile, tenter avec maladresse de proposer de l’argent à ses enfants alors que ceux-ci savent pertinemment qu’elle n’en a pas.
Divisé en trois chapitres – Pif, Paf, Youkou -, Ma vie, ma gueule est compris avec ses multiples résonances avec l’autrice-réalisatrice décédée juste après le dernier jour de tournage. Dans son ultime acte de création, Sophie Filières signe son film le plus personnel, à l’atmosphère singulière et à la poésie universelle, mis en lumière par la photographie d’Emmanuelle Collinot.
Sur son lit d’hôpital, la cinéaste a donné ses consignes et exprimé ses souhaits à ses enfants qui ont repris le flambeau pour réaliser le montage avec l’aide précieuse du chef op, François Quiqueré qui avait longuement parlé avec la cinéaste de ses intentions.
Enfants de la balle, plongés tout petits dans l’univers du septième art par leurs parents – Pascal Bonitzer, critique de cinéma, scénariste, écrivain et réalisateur français et Sophie Fillières – , Agathe et Adam nous ont parlé de cet acte d’amour qu’ils ont reçu en héritage. Rencontre :
Firouz E. Pillet
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