Spectateurs ! La leçon de cinéma magistrale d’Arnaud Desplechin. Rencontre
Avec un regard posé sur le septième art et les salles de projection, Arnaud Desplechin signe un drame introspectif porté par Mathieu Amalric et Dominique Païni, célébrant le rituel et la magie des salles obscures.
Image courtoisie Xenix Filmdistribution
Connaissant l’admiration que porte Arnaud Desplechin au philosophe Stanley Cavell, les producteurs Charles Gillibert et Romain Blondeau lui ont proposé de réaliser un documentaire sur la projection au cinéma. N’ayant jamais fait autre chose que de la fiction, le réalisateur a décidé de créer une forme hybride, comme il le déclare : « Ce fut aisé d’écrire, car je revenais sur des réflexions sur le cinéma qui me tournent dans la tête depuis vingt ans : Alors j’ai écrit dans la fièvre. Ainsi, le film est à la fois une commande de Charles et Romain, et un essai infiniment personnel… »
Dès l’ouverture du film, Arnaud Desplechin se questionne et la voix off entraîne le public dans ses réflexions, ses questionnements, ponctuées de citations :
Qu’est-ce que c’est, aller au cinéma ?
Pourquoi y allons-nous depuis plus de cent ans ?
Je voulais célébrer les salles de cinéma, leurs magies.
Aussi, j’ai suivi le chemin du jeune Paul Dédalus, comme le roman d’apprentissage d’un spectateur. Nous avons mêlé souvenirs, fiction, enquêtes…
Un torrent d’images qui nous emporte.
S’affirmant d’emblée comme une déclaration d’amour au cinéma et à ses salles, ces espaces où le septième art prend toute sa dimension grâce aux nombreuses références et aux abondants extraits que nous sert le cinéaste, le film apparaît à la fois très universel tout en s’adressant à tout un chacun. Réalisateur d’un cinéma que l’on nomme d’auteur, Arnaud Desplechin lui, se refuse en tant que spectateur à faire une distinction de valeur. À travers une réflexion à la fois personnelle et universelle, le cinéaste explore ce qui pousse les spectateurs à franchir les portes d’une salle depuis plus d’un siècle. Porté notamment par Mathieu Amalric, fidèle collaborateur de Desplechin, et Dominique Païni, ancien directeur de la Cinémathèque française, le film oscille entre fiction, essai et introspection, suivant le parcours initiatique du jeune Paul Dédalus, un nom cher à l’univers du réalisateur et bien connu de son public puisque son double cinématographique. La scène dans laquelle la grand-mère emmène ses deux petits-enfants pour la première fois au cinéma voir Fantômas (1967) est un souvenir propre à Arnaud Desplechin, puisque c’est le premier film qu’il a été voir au cinéma avec sa grand-mère. Pour cette scène, Arnaud Desplechin a choisi de filmer au plus près, avec des focales courtes les séquences avec les enfants, afin d’être au plus près d’eux. Précisons que dans la scène où la grand-mère emmène ses petits-enfants pour la première fois au cinéma, l’actrice Françoise Lebrun a improvisé son discours autour du mystère de la cabine de projection.
Passant en revue les rituels du spectateur, Arnaud Desplechin adopte cette forme narrative qui oscille entre la fiction et le documentaire, ce que le cinéaste appelle des « plans à la Wes Anderson ». Par le truchement de ces plans qui invitent les acteurs à se présenter aux spectateurs face caméra, de manière totalement assumée, le cinéaste estime : « C’est une manière de guider le spectateur dans cette carte aux trésors pour qu’il invente ses repères et qu’il puisse lui-même accrocher ses propres souvenirs, ses propres rêveries au tissu que je lui propose. »
Si Arnaud Desplechin est un passionné de cinéma et nous transmet sa passion par les expériences de Dédalus, son film n’est paradoxalement pas un hommage à sa propre cinéphilie. Ainsi, un grand nombre de ses longs-métrages préférés qui ne figurent pas dans Spectateurs ! à l’image des films japonais qu’il affectionne. Le réalisateur n’a pas voulu imposer ses propres goûts, mais plutôt ceux de tout un chacun. C’est là l’une des réussites du film qui inclut un public bigarré, toutes générations confondues.
Tout au long de sa somme sur le cinéma, le cinéaste s’amuse à ponctuer des références passées. Dans l’une des séquences de Spectateurs ! le cinéaste revisite avec de jeunes acteurs le triangle amoureux entre, Marianne Denicourt, Jeanne Balibar et Mathieu Amalric, de l’un de ses précédents longs-métrages, Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) sorti en 1996.
Autre facétie du réalisateur : pour la première fois, Arnaud Desplechin apparaît devant la caméra, lorsqu’il filme Shoshana Felman et Kent Jones à New York. Ou encore quand il entraîne son public sur les bancs de la fac avec la scène où Pascal Kané qui campe un professeur, la scène a été tournée à la Sorbonne Paris 3 Censier, là où il suivait à l’époque les cours de cinéma de Serge Daney.
Les cinéphiles parisiens auront le plaisir de voir que le cinéaste a reconstitué, avec l’aide du décorateur Toma Baquéni et avec de la costumière Judith de Luze, les années 1980 en réaménageant notamment le hall du cinéma l’Arlequin à Paris, comme il était dans les années 1980.
Rencontre au Festival du Film francophone d’Helvétie en septembre 2024.
Firouz E. Pillet
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